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avec lesquelles nous avons eu l’art de marcher en dépit de nos infirmités : notre conscience ne se paie pas de cette rhétorique. Devant elle nous demeurons convaincus d’être des estropiés. Il n’y a qu’une chose qui puisse la consoler, il n’y en a qu’une qui puisse assouvir l’estropié : c’est de mettre bas son corps contrefait et d’acquérir réellement la force d’Hercule et la beauté d’Apollon. Eh bien! c’est cela même qu’il est encore permis d’espérer. Ce que l’homme ne peut se donner, il peut le recevoir. L’humanité déchue chez les fils d’Adam s’est relevée dans un être à part, le Christ, jusqu’à une union parfaite avec la Divinité, et à ce divin type est attachée une vertu miraculeuse. Il suffit que l’infirme soit las de lui-même, qu’il aime l’homme-modèle, qu’il l’adore comme la perfection à laquelle il voudrait ressembler: aussitôt son désir est exaucé. Il a envoyé vers le Christ un élan d’amour; l’amour infini de Dieu, qui n’attendait que cette réciprocité, lui répond en le transfigurant.

Toutes les autres opinions de M. de Pressensé font corps avec ses vues historiques, ou pour mieux dire il n’a qu’une doctrine unique, qui est à la fois son dogme du péché et de la grâce, sa philosophie de l’histoire et sa psychologie, sa théorie de la liberté et de l’action divine, — et la donnée fondamentale de cette explication universelle est l’idée d’une corrélation incessante et d’un concours nécessaire entre le Créateur et la créature, entre la raison et la grâce. Comme il le dit, en même temps que Dieu se rapproche, il faut que l’homme soit incliné vers Dieu; il faut que quelque chose monte de notre cœur pour rencontrer ce qui descend du ciel. Dieu seul appelle, l’homme ne peut que consentir ou résister; mais son consentement est indispensable. Historiquement la rédemption a eu lieu, moralement elle n’existe pas encore pour celui qui n’a pas la foi : chacun n’est racheté que du moment où il s’est assimilé l’œuvre du Christ, où, par un libre acquiescement et par une acceptation personnelle, il en a fait en quelque sorte un événement de sa propre vie. Rien de plus religieux assurément que cette doctrine, rien de moins rationaliste et pourtant lien de plus rationnel, car la raison nous apprend assez que notre libre arbitre se réduit à la faculté d’accepter ou de rejeter les inspirations qui nous viennent. Avant que nous puissions obéir à un bon sentiment, il faut d’abord qu’il surgisse en nous, qu’il pose en nous sa candidature, et cela ne dépend point de nous seuls.

Mais, parmi les conclusions que M. de Pressensé tire de ses principes, il en est une qui lui est plus personnelle et à laquelle peut-être on ne s’attendrait pas : il ne se contente pas de vouloir la séparation absolue de l’église et de l’état, et d’accorder aux congrégations partielles une indépendance qui suppose presque l’ab-