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gitimes. Emporté par le besoin de tout ramener à Dieu, Calvin était allé jusqu’à faire en quelque sorte de lui l’auteur du péché, jusqu’à attribuer à ses seuls décrets éternels la damnation des réprouvés aussi bien que le salut des saints. Pour grandir son pouvoir, il avait supprimé sa justice; pour rendre en quelque sorte la religion plus dévote, il lui avait même enlevé sa spiritualité, puisque l’état moral des individus n’entrait plus pour rien dans leur élection. En cela certainement, le calvinisme avait cessé d’être l’organe du sentiment religieux. Le sentiment religieux nous dit seulement que l’action divine est partout; mais Calvin avait ajouté que partout il n’y a pas autre chose, que partout la volonté de l’homme est sans action aucune sur sa destinée spirituelle, et cette négation-Là ne provenait chez lui que d’une logique exclusive et excessive.

Le rationalisme du XVIIIe siècle a été la Némésis de ces exagérations. En Angleterre, la réaction fut surtout dans le sens de la morale pratique; l’idéal de la sainteté spirituelle faillit s’éclipser derrière la préoccupation du bien public. En Allemagne, ce fut plutôt le culte de l’esprit humain qui menaça de remplacer l’adoration du Créateur. L’église y fut largement complice de la philosophie qui devait aboutir à présenter la religion comme une simple création des facultés naturelles de l’homme. Je ferai toutefois une remarque importante : c’est qu’en Allemagne le rationalisme même est resté fidèle à cet esprit germanique dont je parlais plus haut. Tout en glorifiant la raison, il n’a jamais glorifié ce que la France a toujours entendu par ce mot, je veux dire l’intelligence qui juge et conclut d’après les faits visibles. Loin de mettre sa confiance dans cette raison que nous avons naïvement définie comme la faculté de voir les réalités telles qu’elles sont, il partait plus ou moins de l’idée que hors de nous-mêmes il nous est impossible de rien connaître; loin de continuer cette vieille thèse que tout égarement vient du sentiment, et que la science des choses et de leurs conséquences doit être notre guide unique, il n’était au fond qu’un spiritualisme immodéré, une foi sans borne au moi humain. Il était anti-religieux, parce qu’il ne faisait rien remonter à Dieu; mais, autant que Luther, il tournait toute son attention vers les forces invisibles qui opèrent en nous. Son dernier mot a été d’enlever toute vérité objective à l’histoire religieuse, de déclarer que les événemens de l’Écriture ne s’étaient passés que dans l’esprit humain, que le christianisme n’était qu’un idéal et une tradition enfantés par nos aspirations, et qui à la longue s’étaient pris eux-mêmes pour un fait historique.

Toujours est-il que c’était là une nouvelle exagération, et à son tour elle a provoqué une réaction. En posant l’homme comme une