« Eh ! Jean, Estève, Sauvaire, eh ! vous autres, les pâtres du Luberon, les bouviers de la Camargue, vous ne savez pas la nouvelle? Le fils de Dieu est né. Arrivez, arrivez tous! » Et là-dessus des colloques s’engageaient entre le poète et les paysans. Ce thème variait sans fin. Rien d’abstrait, rien qui sentit la poésie convenue. C’étaient des dialogues, des épisodes touchans ou comiques, maintes familiarités qui saisissaient l’esprit. Il semblait en vérité que Bethléem fût en Provence, et que Jésus-Christ fût né là-bas, sous les oliviers, dans quelques mas des Alpines. Ces noëls de Saboly sont populaires d’un bout de la Provence à l’autre. Il y a deux siècles qu’on les chante, et on les chantera encore longtemps. Le peuple les entonne dans l’église aux jours consacrés; la nuit, le pâtre de la Crau les répète à la clarté des étoiles. « Quel est le recoin de la Provence, si écarté qu’il soit, où ces noëls n’aient pas pénétré? dit M. Mistral dans une vive notice sur Saboly. De Briançon en Arles et de Nîmes à Antibes, furetez de toutes parts, si vous trouvez un homme, une femme, un enfant qui ne connaisse pas au moins le noël de l’Hôte, je vous achète un merle blanc, et je vais le dire à Rome... Tout cela ne veut pas dire que Saboly soit un trouveur (troubaire) de première main, comme Homère, Dante, Corneille ou Lamartine; mais il n’y a si petit buisson qui ne donne de l’ombre au moins une fois par jour. Le travailleur qui endure la soif et la fatigue se délecte cent fois plus avec un noël de Saboly qu’avec une tragédie de Corneille. Saboly est le trouveur du pauvre monde, le chantre de la crèche, de l’âne, du foin, de l’étable, du froid, des langes, de la misère; et son bonheur et son triomphe, c’est de faire rire la misère, tout en la relevant. » Ces noëls si populaires, on n’en connaissait pas exactement la musique. Si l’imprimerie, en de nombreuses éditions, avait fidèlement conservé le texte des paroles, les airs, transmis de bouche en bouche, avaient subi des altérations inévitables. Or, il y a quelques années, ce texte musical, que l’on croyait perdu, fut retrouvé dans une bibliothèque particulière d’Avignon, et un savant musicien du pays, M. Séguin, le fit graver avec un soin religieux. Ce fut une occasion toute naturelle pour nos chanteurs provençaux. Déjà plus d’un parmi eux avait composé des noëls pour obéir au sentiment populaire et suivre la tradition; la découverte de ces airs primitifs fut comme un signal, et chacun se mit à l’œuvre. MM. Roumanille, Aubanel et Mistral publièrent une nouvelle édition de Saboly, accompagnée de tous les noëls récemment inspirés. Après la farandole joyeuse, la pieuse procession commençait. Le vieil organiste a dû tressaillir dans sa tombe; la tradition créée par lui revivait tout à coup avec une grâce originale. Par des sentiers jonchés de fleurs, une troupe de chanteurs
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