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Cette belle raison si chère, c’est-à-dire sans nul doute le goût, le sens du beau, l’art merveilleux de l’imagination et du style, MM. Crousillat et Reybaud l’ont défendue à leur manière, comme Giraud de Calanson. M. Roumanille ne pouvait avoir d’auxiliaires plus utiles; en élevant le ton de la poésie nouvelle, ils fermaient l’entrée aux boiteux, et préparaient le terrain à de jeunes maîtres plus hardiment inspirés. Ces jeunes maîtres, on le sut bientôt, c’étaient M. Théodore Aubanel et M. Frédéric Mistral. Un sentiment très vif de la chaude nature du midi, l’abondance et la nouveauté des images, l’art de reproduire avec une énergie toujours poétique les choses les plus familières, voilà ce qui tout d’abord leur assura une place à part à côté du chantre de Saint-Rémy. Dès la publication des Provençales, la poésie nouvelle eut trois chefs, différemment inspirés, mais tous les trois originaux et reconnaissables entre mille. Traçons rapidement ces trois portraits tels qu’ils apparurent alors dans le cadre des Prouvençalo.

Le caractère de M. Roumanille, très vivement accentué désormais, c’était la grâce, l’élévation morale, et en même temps la verve joyeuse et rustique. Personne ne savait chanter comme lui les grandes ailes de la charité, personne ne trouvait de si caressantes paroles pour invoquer, pour faire descendre sur terre le bel ange, le tendre séraphin, dont le sourire est si joli, dont le regard est si doux,

………… Serafin amistous
Qu’as un tant pouli rire et de co d’iu tant doux !

Cette charité qu’il célèbre si bien, il la pratique lui-même dans ses vers, car nul ne les écoute sans devenir meilleur. Sa philosophie n’a pas de profondeurs cachées ni de subtilités savantes; quelle simplicité, mais aussi quelle tendresse ! C’est toujours l’homme qui est devant ses regards, l’homme qui pleure, qui souffre, souvent par l’injustice du sort, trop souvent, hélas! par sa propre faute; il va le trouver, il le console, surtout il lui rend l’espérance et l’aide à se relever. Ame sincèrement religieuse, la religion qu’il enseigne évite avec soin tout dogmatisme épineux. Travailler et prier, avoir confiance en Dieu et en soi-même, voilà le fond de sa prédication. Le christianisme, chez ce poète des campagnes, est toujours souriant, aimable, sans nulle difficulté ; la voie qu’il ouvre n’a rien d’étroit, le ciel qu’il fait espérer aux gens des mas n’est pas celui que ravissent les violens. Pourquoi tant d’efforts? Pourquoi se mettre l’esprit à la torture? semble dire le candide chanteur; il est si facile d’être chrétien ! Entre les sublimités de la grande poésie religieuse et la poésie catholique telle que l’entend M. Roumanille,