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c’était l’héroïque petite troupe, qui revenait toute meurtrie. Le capitaine Du Preuil était couvert de sang et de poussière, ses vêtemens étaient en lambeaux, et son mouchoir teint de sang lui enveloppait la tête. Il avait repris ses sens et me reconnut. — Ah ! s’écria-t-il, les lâches, ils m’ont abandonné. — Ce furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche. On s’empressa de le transporter au camp, où il fut pansé. Le bachi-bozouk qui avait sauvé le capitaine fut présenté au général Yusuf, qui le félicita et en récompense de ce bel acte de dévouement le nomma bim-bachi.

J’avais lu dans les relations des guerres du premier empire que tel officier avait reçu dix, douze et jusqu’à dix-neuf coups de lance, et qu’il en était revenu. C’était alors une énigme pour moi; mais quand on considère bien la lance d’un cosaque, qui est d’un pied et demi plus longue que la nôtre, et que l’on regarde le fer qui est fixé au bout, tout s’explique : ce fer ne dépasse pas 2 centimètres, et n’a pas ces côtés triangulaires qui font ressembler le fer de la lance française à la baïonnette si meurtrière de l’infanterie.

Le 2e régiment, qui s’était détaché de la brigade du capitaine Du Preuil, rentra au camp fort tard dans la soirée, ayant battu la campagne sans avoir rien vu. Ainsi se terminait la première affaire où les bachi-bozouks eussent été engagés. Le début n’était pas heureux. Le général cependant, piqué au jeu, se promit de prendre bonne revanche le lendemain. Le 1er régiment de zouaves que nous avions trouvé à Kustendjé nous avait rejoints, au nombre de quinze cents hommes. Cet appoint venait fort à propos. La nuit fut des plus calmes, comme tous les calmes qui précèdent les grands orages.

Le 28 juillet au matin, le temps était admirable, le soleil était éclatant, on avait oublié les peines de la veille, et toute la cavalerie se préparait à se mettre en marche. Les six pièces d’artillerie turque devaient nous suivre, ainsi que les zouaves, qui devaient se tenir à distance, au pas de l’infanterie, mais nous rejoindre avec leur célérité bien connue, si les circonstances l’exigeaient. Tout le monde était dans les meilleures dispositions pour venger le petit échec de la veille.

Avant de se mettre en route, le général Yusuf fit appeler le capitaine de Sérionne, qui commandait la troisième brigade, lui donna l’ordre de se porter en avant, de se bien éclairer, et surtout de ne pas le perdre de vue et de se tenir toujours en communication avec lui. La brigade, ayant reçu ces instructions en termes bien précis, partit sur-le-champ comme une volée d’oiseaux, et notre colonne se mit en marche derrière elle au pas de la cavalerie. Une plaine immense s’étendait devant nous. Après l’avoir suivie pendant une ou deux lieues, nous arrivâmes à une sorte de vallon, ayant la mer à notre droite, et devant nous la ville de Babadagh. Sur les bords