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général Liprandi, qui disposait d’une nombreuse cavalerie, devait en avoir. Nous ne les avons retrouvés que le 31 décembre 1854, en poussant une reconnaissance. Au nombre de trois cents, ils cherchèrent à tenir tête un instant au 1er de chasseurs d’Afrique, commandé par le colonel de Ferrabouc, aujourd’hui général; mais ils furent culbutés, et, pour se sauver plus vite, ils jetèrent leurs lances. « La lance, dit le général Benkendorf, est l’arme dont le cosaque sait le mieux se servir, et qu’il manie avec une dextérité incroyable. » Quelle est la cause de cette infériorité? A quoi faut-il attribuer la « dilapidation de cette mine précieuse? » Sans doute à un essai d’organisation régulière qui a dénaturé un corps né pour l’aventure et les coups de main. Tâchons donc de méditer cette leçon des faits; ne traitons pas les corps irréguliers comme la force régulière; voyons, malgré des vices d’organisation déjà signalés, ce que sont encore nos spahis. Avec de pareils corps en Crimée et en Italie, d’importans résultats se seraient ajoutés sans nul doute aux succès obtenus. On n’aurait pas vu, par exemple, avec des éclaireurs, deux armées de près de deux cent mille hommes se surprendre et s’entre-choquer à l’improviste, comme à Solferino.

J’en ai dit assez pour montrer quel est le rôle d’une cavalerie irrégulière. Les principes de la formation d’une cavalerie pareille étant connus, on verra s’ils ont été bien ou mal appliqués dans l’organisation du corps dont il me reste à retracer l’histoire, aidé de mes souvenirs.


II.

Appelé, par commission du ministre de la guerre, à exercer un commandement dans le corps des spahis d’Orient, je quittai la France le 1er juillet 1854, à bord du Henri IV, placé sous les ordres du capitaine Bonnefoi, un homme aimable s’il en fut, et tenu en grande estime par les maréchaux Bugeaud et Pélissier. Le 11 juillet, le Henri IV arrivait à Gallipoli, apportant à cette malheureuse petite ville le choléra, qui s’était mis comme passager à bord, et qui ne tarda pas à faire ses victimes, dont une des plus regrettées fut le général d’Elchingen, le digne fils de l’héroïque maréchal Ney. Des ordres ayant été donnés pour que tous les officiers de bachi-bozouks fussent immédiatement dirigés sur Varna, je me rendis à bord de l’Ulloa, et nous atteignîmes cette ville dans la matinée du 13. Je me jetai dans un canot, et au bout de quelques instans j’arrivai devant une maison fort simple qu’habitait le maréchal Saint-Arnaud, commandant en chef de nos forces en Orient. On m’introduisit aussitôt dans son cabinet. Je n’avais pas revu le maréchal depuis que je