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tendre peut-être une puissance européenne de l’autre côté du détroit, en face de Gibraltar ; aussi ses journaux se sont-ils hâtés d’accuser raniljition du gouvernement espagnol, de lui attribuer le projet de conquérir le Maroc. L’Espagne n’a point sans doute les vues ambitieuses qu’on lui prête, et l’expédition qu’elle prépare n’a d’autre but que la défense de ses possessions. On ne peut se dissimuler cependant que c’est là le commencement d’une guerre. La question se complique aujourd’hui par la mort du dernier empereur du Maroc. Le nouvel empereur, déjà menacé par la guerre civile, serat-il assez fort pour désarmer l’Espagne en lui offrant les garanties, les satisfactions qui lui sont dues ? Et ces satisfactions, ces garanties, fussent-elles offertes comme un moyen de paix, seront-elles efficaces et sûres pour l’avenir ? Un fait est certain, c’est que la susceptibilité espagnole s’est vivement irritée de ces insultes de la barbarie marocaine, et l’expédition méditée par le gouvernement n’est que l’expression de ce mouvement d’irritation, qui à son tour va se heurter contre les méfiances jalouses de l’Angleterre. Et voilà comment un incident inattendu ravive la lutte de tous les intérêts.

Il y a aujourd’hui en Espagne une autre question, d’un ordre supérieur, qui vient de se dénouer d’une façon aussi heureuse qu’inattendue : c’est la question du désamortissement. Le principe de la vente définitive et complète des biens de l’église est désormais admis d’intelligence entre le saintsiége et le gouvernement espagnol. C’est M. Rios-Rosas, aujourd’hui ambassadeur à Rome, qui est arrivé à résoudre cet épineux problème et à déblayer le terrain de la politique espagnole d’une question toujours renaissante. M. Rios-Rosas arrivait à Rome il y a quelques mois, envoyé par le cabinet O’Dunnell, pour traiter encore une fois au sujet du désamortissement. Personnellement sans doute il avait toute sorte de titres pour ne point trop effaroucher la cour romaine : il avait surtout celui de s’être montré en 1855 l’éloquent défenseur des droits de l’église et l’adversaire vigoureux de la loi de désamortissement, œuvre de la dernière révolution ; mais en même temps les difficultés étaient grandes, d’autant plus grandes qu’on se trouvait en présence d’un arrangement nouveau qui venait à peine d’être conclu. C’est sous le dernier ministère du général Narvaez, il y a moins de deux ans, que cet arrangement avait été négocié : il consacrait la vente des biens ecclésiastiques, opérée jusqu’à ce moment en vertu de la loi de 1855 ; mais d’un autre côté il faisait passer aux mains du clergé séculier les biens des communautés religieuses qui devaient être vendus d’après le dernier concordat. C’est dans ces conditions que le cabinet O’Donnell arrivait au pouvoir avec la pensée avouée d’en finir avec cette question, en demandant le concours du saint-siége; de là cette négociation que M. Rios-Rosas a conduite avec une patience et une habileté heureuses. Une convention nouvelle vient d’être signée entre la cour de Rome et l’Espagne, et bien que le cabinet de Madrid veuille encore la tenir secrète, il n’est peut-être pas impossible de dire ce qu’elle contient. Le fond, c’est la vente définitive et complète de tous les biens du clergé séculier et régulier, qui reçoit en échange des inscriptions de rente, lesquelles ne pourront être transférées ; la forme, c’est une cession consentie par le saint-siége à l’état. De cette façon, le pape cède sans livrer ostensiblement le principe du droit de propriété pour l’église, et l’Espagne obtient ce qu’on demandait pour elle, c’est-à-dire la vente totale des