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se concilier avec le respect de la loi demeure permise. Et comment pourrait-il en être autrement ? La première de nos lois, la constitution, est susceptible de réforme ; c’est le préambule dont elle est précédée qui le déclare, et elle contient d’ailleurs des dispositions précises qui prévoient dans quelle forme des amendemens pourraient être introduits dans la loi fondamentale. Si la constitution elle-même, pour nous servir des paroles de l’empereur, « a laissé aux cliangemens une large voie, » si « elle n’a pas enfermé dans un cercle infranchissable les destinées d’un grand peuple, » à plus forte raison les autres lois sont-elles ouvertes aux cliangemens et aux améliorations. Oi*, si l’étude de l’esprit d’une législation, si l’analyse critique du mécanisme et la discussion contradictoire des conséquences pratiques d’une loi étaient interdites, aucun progrès législatif ne serait possible, et la législation serait condamnée à l’immobilité. Pour qu’une loi puisse être réformée, il faut avant tout que les intérêts qui s’en croient blessés aient le droit d’exprimer leurs plaintes et de faire valoir leurs griefs : c’est à l’opinion d’apprécier ensuite si ces réclamations sont fondées, et enfin au législateur de prononcer, lorsque le débat contradictoire a éclairé son jugement. La réforme des lois est si bien garantie par nos institutions, et le droit de demander cette réforme fait si bien partie de nos libertés, que la constitution a consacré le droit de péliticn, et que ce droit s’exerce auprès de celui des grands corps de l’état qui seul possède l’initiative en matière de législation, le sénat. La critique des lois peut donc se concilier avec ce respect de la loi que te Moniteur affirme si justement être inséparable de l’exercice de la liberté légale.

L’expérience nous le prouve en effet à tout moment : nous pourrions en montrer de nombreux exemples, nous n’en citerons qu’un. Que se passe-t-il chaque jour à propos de notre législation douanière ? Un grand nombre d’esprits éclairés, tous les hommes instruits en économie politique pensent et disent que le système protecteur exagéré est une absurdité, et que le système prohibitif est une absurdité monstrueuse. Qui songe pourtant à les accuser de manquer au respect dû à la loi, lorsqu’ils s’efforcent de démontrer, à l’aide de la philosophie et de l’expérience, l’injustice des entraves imposées à la liberté du travail par l’économie erronée et les intérêts mal entendus qui ont inspiré et qui soutiennent notre législation prohibitive et protectrice ? Certes notre illustre collaborateur M. xMichel Chevalier, dans la rude guerre qu’il fait à notre système de douanes, ne court point le danger d’être confondu avec les violateurs de la loi douanière et d’être poursuivi comme un contrebandier. La même distinction entre la critique et le mépris ou la violation d’une loi est applicable à propos de toutes les lois. L’étude et la discussion de la législation de la presse peuvent revendiquer avec sécurité le bénéfice de cette distinction, fondée sur le bon sens autant que sur la justice. Comment a-t-on pu craindre que le gouvernement fût exposé à la méconnaître dans les discussions auxquelles donne lieu la législation de la presse ? La circulaire de M. le ministre de l’intérieur ne dit-elle pas que « sans doute, comme toutes les lois politiques, celle-ci est susceptible des améliorations dont l’expérience aurait démontré l’utilité ? » Or l’expérience peut-elle démontrer quelque chose, si les résultats qu’elle apporte ne sont point analysés, fécondés, éprouvés par la discussion ? Les