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PAGES DE JEUNESSE
D’UN
RÊVEUR INCONNU

Fragmens sur l’Art et la Philosophie, suivis de notes et pensées diverses, recueillis dans les papiers de M. Alfred Tonnelle, publiés par M. G.-A. Heinrich ; Tours, 1 vol., 1859.



Vous avez vu récemment ces grands combats d’Italie où la fleur d’une génération était emportée dans un ouragan de feu et de gloire. Pour quelques victimes hors ligne qui ont un nom lié désormais à ces événemens et à ces splendeurs guerrières, que de morts inconnus, tombés à rangs pressés, dont on ne saura jamais rien, qui n’ont laissé une trace distincte et aimée que dans le foyer de famille où ils ne reparaîtront plus! Et pourtant, parmi ces morts inconnus, beaucoup avaient sans doute des dons heureux, sans compter la jeunesse et la bonne volonté de vivre. Quelques-uns avaient peut-être le génie pour se dégager de la foule, et avec un peu plus de temps, mieux servis par la fortune, ils auraient pu atteindre ce point où, en périssant à leur tour, ils eussent laissé un nom. Ce n’était pas leur destin. Ils ont fait nombre; ce sont les héros sans nom, et comme les épis obscurs de la sanglante moisson de la guerre. Il en est ainsi de toutes les batailles de la vie, et surtout de ces luttes de la pensée, où souvent l’activité n’est pas moins dévorante et moins meurtrière. Le monde finit par retenir le nom de quelques-uns, de ceux qui, plus heureux ou plus forts, échappent malgré leurs blessures aux obscures épreuves. Ceux-là sont les privilégiés, les renommés; mais en même temps combien en est-il, de ces laborieux sol-