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étrange et contenu s’élevait de temps à autre des feuilles touffues ; on eût dit qu’elles voulaient appeler les promeneurs, les attirer sous leurs ombrages. Tout le ciel était parsemé d’étoiles, qui répandaient mystérieusement d’en haut leur doux scintillement, et semblaient regarder attentivement la terre lointaine. De petits nuages fins passaient par momens sur la lune, et transformaient pour un instant son éclat paisible en une vapeur translucide. Tout sommeillait. L’air tiède et embaumé n’était agité par aucune brise, mais frissonnait parfois comme la source troublée par la chute d’une branche. On y sentait quelque chose d’altéré, quelque chose de frémissant. Je m’étais penché sur la palissade : devant moi, un pavot rouge élevait sa tige droite dans l’herbe épaisse ; une grande goutte de rosée nocturne brillait d’une sombre lueur au fond de la fleur épanouie. Tout sommeillait, tout s’assoupissait mollement autour de moi ; toutes choses paraissaient aspirer vers le ciel, se dilater, s’immobiliser et attendre.

Qu’attendait donc cette nuit chaude et non endormie ?

Elle attendait un son, ce calme attentif attendait une voix vivante ; mais tout se taisait. Les rossignols avaient cessé de chanter depuis longtemps. Le bourdonnement subit d’un insecte qui volait dans l’espace, le léger bruissement d’un petit poisson dans le vivier derrière les tilleuls, le sifflement engourdi d’un oiseau qui s’agitait dans le sommeil, un cri faible et confus dans les champs, si éloigné que les oreilles ne pouvaient distinguer si c’était l’appel d’une voix humaine ou la plainte d’un animal, ou bien un pas précipité et saccadé qui résonnait sur le chemin, — tous ces sons grêles, tous ces frémissemens continus ne faisaient que redoubler le silence…

Mon cœur était saisi d’un sentiment indéfinissable qui ressemblait soit à l’attente, soit au souvenir du bonheur ; je n’osais remuer. Je regardais machinalement les deux fenêtres doucement éclairées, lorsque tout à coup un accord retentit dans la maison et roula comme une vague, répété par un écho sonore. Je frissonnai involontairement.

À la suite de cet accord, une voix de femme se fit entendre… J’écoutai avidement. Quelle ne fut pas ma surprise !… J’avais entendu il y a deux ans en Italie, à Sorrente, ce même air, cette même voix,… oui, oui…


Vieni, pensando a me segretamente…


C’était bien cela, je reconnus cette musique.

Voici comment je l’avais une première fois entendue. Je revenais chez moi après une longue promenade au bord de la mer. Je suivais rapidement la rue. La nuit était venue, une nuit magnifique, méri-