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meuse scène de la Wolfsschlucht dans le Freyschütz et la scène du Val-Maudit dans le Pardon de Ploërmel; non-seulement des deux côtés tout est original, et dans les motifs et dans les combinaisons harmoniques, mais la couleur, l’esprit, le caractère, restent absolument différens. Les bruits mêmes des deux orchestres ne se ressemblent pas. Weber, je l’ai déjà dit, localise en quelque sorte son fantastique; M. Meyerbeer imprime au sien le sceau de cette vérité historique dont son génie a le sens profond. Comment, je le demande, deux grands esprits partis de points si différens se rencontreraient-ils dans la forme? Quels rapports peut-on trouver entre les sonorités stridentes de la scène où Gaspard fond ses balles dans le Freyschütz et la solennelle évocation des nonnes au troisième acte de Robert? La même chose peut s’appliquer à la manière dont M. Meyerbeer a traité la partie fantastique de son nouvel ouvrage, manière qui se rapprocherait plutôt de la symphonie passionnée de Beethoven que du style spécialement naturaliste de Weber; ce qui n’empêchera pas la discussion d’aller son train et les chercheurs d’analogies de crier à l’imitation.

Il est une autre question qui se reproduit sans cesse à propos de l’auteur des Huguenots et du Pardon de Ploërmel, question, selon nous, non moins ridicule, et que nous voudrions voir enterrée une bonne fois. Ainsi nombre d’honnêtes gens reprochent à M. Meyerbeer d’être un musicien trop savant. Musique savante ! que veut dire cela? Mais toute musique digne de ce nom est savante aujourd’hui, et il y a autant de science musicale proprement dite dans les Diamans de la Couronne et dans Jenny Bell qu’il peut y en avoir dans l’Etoile du Nord et le Pardon de Ploërmel. Seulement, pour le public dont je parle, le motif frivole et dansant de M. Auber a sur la phrase ordinaire de M. Meyerbeer l’incontestable avantage de pouvoir aisément être retenu aussitôt. « Quand je donne trois heures de mon temps à l’audition d’un opéra, nous disait, au sortir du Pardon de Ploërmel, un illustre personnage, je prétends en savoir le fond séance tenante, et ne pas être obligé d’y revenir! » Voilà certes qui est parler; mais quel chef-d’œuvre résisterait à une semblable argumentation? A coup sûr, ce ne serait ni Guillaume Tell, ni Zampa, ni la Muette, et je ne vois guère que le Postillon de Longjumeau et la Fanchonnette qui soient capables de satisfaire un si légitime vœu! «Tout ce qui n’est point vers est prose, et tout ce qui n’est point prose est vers, » observe fort judicieusement le maître de philosophie du Bourgeois gentilhomme. De même pour la musique : « tout ce que je fredonne est mélodie, et tout ce que je ne fredonne pas est science! » À ce compte, le septuor de Don Juan et le trio de Guillaume Tell sont des morceaux trop savans, et Beethoven, ce