de Londres veillent le matin pour ceux qui veilleront le soir. À mesure que vous avancez à travers les vagues de la foule, vous ne découvrez autour de vous que des pyramides de corbeilles chargées de fruits, des montagnes de légumes entassées sur des montagnes. De puissantes voitures, qui ont roulé toute la nuit, gémissent sous des murailles de choux, dont une main savante a dirigé l’architecture. Ce n’est pas sans peine qu’on arrive au marché proprement dit de Covent-Garden, qui a été bâti en 1828 par les soins du duc de Bedford. Une colonnade entoure à l’extérieur le bâtiment, qui est à peu près carré, et dans la profondeur duquel s’alignent des rues, des passages. Au-dessus de la principale entrée s’élèvent sur une terrasse deux serres vitrées d’un style assez élégant, dans lesquelles on conserve les fleurs délicates. Il n’y a point de crieurs comme au marché de Billingsgate, mais un long murmure, semblable au bourdonnement d’une immense ruche, se répand de distance en distance. Des hommes de tous les costumes, depuis le coster dans ses grossiers vêtemens de corduroy (velours à côtes) jusqu’au fruitier (greengrocer) en tablier bleu, se succèdent dans ce jardin, où la nature jette par monceaux toutes ses offrandes aux pieds de la civilisation. Le peuple des marchands se promène çà et là, l’œil fixé sur ces produits de la terre, le front chargé de réflexion et de calcul. Au milieu de tous ces mouvemens passent d’athlétiques portefaix avec des colonnes de corbeilles rondes sur la tête et de jeunes bouquetières chargées de violettes. Ces fleurs coupées ressemblent à la destinée de la marchande, fraîche et épanouie, mais sans racines dans la vie et condamnée à courir les rues de Londres, où la beauté se flétrit vite. On calcule que deux mille hommes avec de petites voitures et trois mille femmes avec des éventaires visitent le marché de Covent-Garden dans la matinée du samedi, surtout pendant l’été. Ces costers achètent environ un tiers des fruits et des légumes. On ne leur fait point de crédit, car les salesmen les considèrent comme des pratiques glissantes, aujourd’hui ici, demain là. Le marché et les rues voisines se montraient couverts, — on était au mois de juillet, — de petits pois, de fraises, de framboises et d’herbes aromatiques, dont l’odeur faisait songer à la campagne : il n’y manquait que le chant des oiseaux. Il faut d’ailleurs se dire que toutes les îles britanniques, la Belgique, la Hollande, la France et même les contrées du midi avaient contribué à la richesse du marché en faisant honneur de leurs produits à la cité-reine (queen-city). Une grande partie de ces fruits et de ces légumes avaient passé la mer. À l’angle nord-ouest du marché, depuis le coin de Queen-Street jusqu’à l’entrée de la grande avenue, s’étendait un parterre de fleurs en pots. Ces fleurs communes, mais qui en valent bien
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