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santal ; mais ce bois précieux est devenu fort rare, il croît au penchant des précipices, et l’exploitation est tellement difficile qu’elle rebute les naturels.

Si avec la réduction du personnel français on a vu se tarir les principales sources du revenu des indigènes, et s’affaiblir l’espoir de familiariser ces populations avec les travaux agricoles et industriels, il semble qu’un progrès moral se soit accompli en ces dernières années à Nukahiva. Vos missionnaires, après onze ans de tentatives infructueuses sur Vaïtabu et deux années d’essais également inutiles à Fatuhiva, ont dû quitter la première île en 1849, la seconde en 1855, pour concentrer tous leurs efforts sur Nukahiva, Huapu et Hivaoa, les points les plus importans et les plus peuplés de l’archipel. Six pères de la congrégation de Picpus et quatre pères convers habitent aujourd’hui ces trois îles. Leur supérieur, M. Dordillon, évêque de Cambysopolis, réside à Taiohaë : son humble demeure se dresse sous un dais de verdure, au bord du ruisseau de la vallée d’Ikohe. Tout auprès s’élève, non moins humble, la petite chapelle de la mission. Elle a pour clocher un arbre d’où s’élance à certaines heures la voix d’airain qui appelle les chrétiens à la prière. Te-Moana, une fois encore abjurant ses croyances, a reçu le baptême en 1853. Entraînée par son exemple, la plus grande partie de la population de Taiohaë a embrassé le christianisme. Il paraît même qu’à la suite de la dernière expédition contre les Taïpis Vaïs (22 août 1857), les chefs de cette tribu, en faisant leur soumission, se sont ralliés à nos croyances religieuses, et que les fières peuplades de la baie du Comptroller, jusqu’alors rebelles à notre ascendant, se portent en masse vers nos missionnaires. Sans s’exagérer la valeur d’une foi éclose sous l’empire de sentimens d’intérêt ou de crainte, en faisant aussi la part de la curiosité et de l’engouement qui, chez ces naturels légers et versatiles, est un stimulant des plus réels, la tendance que je signale mériterait encore d’être prise en considération. Ne fît-elle qu’établir des rapports plus suivis entre les indigènes et nos missionnaires, ouvrir à ces derniers l’accès de toutes les parties de l’île et leur y assurer un accueil moins défiant, un progrès se serait réalisé. En effet, avec la pénétration dont ils sont doués, les canaques ont vite reconnu que les apôtres chrétiens formaient une classe à part, dévouée, charitable, patiente, austère et inaccessible à leurs grossiers instincts. Aussi ont-ils pour eux une estime qui s’est manifestée en diverses circonstances. C’est un fait aujourd’hui notoire que la présence d’un missionnaire catholique sur une des grèves de l’archipel est une garantie de sécurité pour les navigateurs, à quelque communion qu’ils appartiennent. Les mœurs y sont comparativement plus douces, les rapports avec les