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des montagnes qui cernent la baie de Taiohaë, le pays était alors à peu près inconnu aux Français, et les indications qu’ils avaient pu se procurer sans éveiller les soupçons des indigènes étaient fort vagues. Néanmoins un déserteur chilien, depuis longtemps réfugié à Nukahiva, s’étant offert pour servir de guide, une nouvelle expédition fut résolue. M. Porteu devait encore la diriger. On lui adjoignit le lieutenant d’infanterie Tricot ; ils emmenaient avec eux une force de soixante hommes.

La colonne expéditionnaire quitta le fort à onze heures du soir. En semblable pays, une marche de nuit, surtout hors des sentiers frayés, est des plus pénibles. À chaque instant, la marche était entravée par des pans de rochers. Enfin à cinq heures du matin la petite troupe atteignait les points les plus escarpés de Taiohaë et entrait dans une gorge connue sous le nom d’embrasure de Porter[1]. À peine y était-elle arrivée que le jour, qui sous ces latitudes se fait brusquement comme au théâtre, éclaira les profondeurs des vallées. Les nôtres aussitôt reconnurent qu’une erreur du guide les forçait à traverser deux tribus pour arriver à Pakoko, et en même temps ils acquirent la certitude qu’ils étaient découverts. Des vedettes indigènes avaient sans doute la nuit éventé leur marche et retrouvé à l’aube les traces de leur passage. Il était désormais inutile de se cacher ; la colonne se démasqua et déploya le pavillon national. À cette vue, des cris de détresse retentirent dans les vallées, et aussi loin que le regard pouvait s’étendre, on aperçut, fuyant de toutes parts, les femmes et les enfans des tribus vaïs et houmis. L’apparition subite de nos soldats à l’endroit même d’où Porter s’était précipité sur les tribus pour leur infliger un châtiment sévère terrifiait ces peuplades, qui voyaient se reproduire avec des circonstances à peu près, identiques un événement passé déjà chez elles à l’état de légende. M. Porteu fit rassurer ces pauvres gens. Ceux-là seuls qui prêteraient assistance à Pakoko devaient s’attendre à être traités en ennemis. Les apprêts de départ furent suspendus ; les chefs se rassemblèrent, et la grande-prêtresse déclara que si Pakoko ne cherchait pas un autre refuge, une famine terrible frapperait les vallées. C’était une femme de sens que cette prêtresse ; elle comprenait que tôt ou tard les tribus paraîtraient complices de la résistance de Pakoko, ce qui ne pouvait manquer d’aboutir à une dévastation de la campagne. À la suite de ce conciliabule, on dépêcha des émissaires à Pakoko pour l’engager à

  1. C’est là qu’en 1813 le commandant de la marine américaine Porter, repousse de la baie du Comptroller par les tribus de Taïpis coalisées, vint, gravissant la vallée d’Avao, s’établir avec ses forces pour tomber sur l’ennemi, tandis que ses embarcations faisaient une nouvelle tentative sur la côte.