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son éternité. Dans ses croyances consolantes, la mort est un simple changement de vie, un voyage vers des contrées mystérieuses et favorisées. Les souffrances physiques, l’instinct de la conservation en révolte, le regret de quitter des êtres chéris, attristent seuls les derniers instans du malade. Quant aux terreurs de l’inconnu, aux péripéties poignantes et funèbres de l’agonie, il ne les connaît pas. Considérant la maladie comme une expiation, la mort est bien réellement pour lui le baiser des dieux. Ceux qui l’environnent, loin de lui donner le change sur son état, lui répètent qu’il va bientôt mourir, et préparent d’avance sous ses yeux le pahaa, cette pirogue du voyage sans retour. Le mourant lui-même prend certaines dispositions en vue de sa fin prochaine : il désigne les personnes auxquelles il lègue la tâche si laborieuse d’apprêter son cadavre, et il attend résigné l’heure de sa délivrance. Quant à la famille, elle croit de son devoir de retarder la séparation ; aussi l’un de ses membres, épiant les dernières luttes de l’agonie, pour empêcher l’âme de s’échapper, comprime avec les mains le nez et la bouche du moribond, de telle sorte qu’assez généralement il meurt étouffé.

Le travail des vivans, c’est d’embaumer les morts,


a dit une femme d’esprit en parlant de l’Égypte ancienne. On peut surtout appliquer ce vers à l’archipel nukahivien. Les naturels en effet apportent à Vakapaha (embaumement) un zèle et un dévouement au-dessus de toute croyance. Seulement à Nukahiva les ouvriers de la mort ne forment pas, comme jadis en Égypte, une corporation spéciale. Ce sont les parens du défunt qui font subir au cadavre les préparations en usage, peu compliquées du reste. Entre autres cérémonies funèbres, nous assistâmes à celles qui suivirent la mort de Niéhitu, oncle du chef Te-Moana, et qu’à ce titre on entoura d’une certaine pompe. Les obsèques de Niéhitu me semblèrent offrir une idée complète des pratiques bizarres et superstitieuses qui caractérisent les funérailles nukahiviennes.

Te-Moana avait donné l’ordre de transporter le mort à Taiohaë. Cette translation eut lieu durant la nuit. Déposé dans une baleinière, escorté de toutes les pirogues de la baie, le corps traversa la rade à la lueur des torches. Ce convoi nautique s’avançait sans autre bruit que le battement irrégulier des pagaies sur l’eau et le grondement sourd du flot sur la grève. Un grand nombre de femmes attendaient l’escadrille, les unes accroupies autour d’un brasier, les autres courant sur le rivage, et laissant traîner leurs manteaux blancs comme des linceuls. La baleinière funèbre toucha le bord. On la tira sur le sable, toutes les pirogues furent également mises à sec ;