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refus et s’éloigna. Le vieux Miaoulis, affligé de ce départ, ne put, nous a-t-on dit, s’empêcher de verser des larmes.

Les Hydriotes allaient rentrer chez eux avec leur capture, lorsqu’ils furent arrêtés par l’amiral russe Ricord, qui, en l’absence momentanée des escadres française et anglaise, se trouvait seul prêt à appuyer le gouvernement dans cette grave conjoncture. L’amiral russe leur enjoignit de renoncer à leur projet, ajoutant qu’il emploierait au besoin la force pour les faire rentrer dans le devoir. Miaoulis n’était pas homme à se laisser intimider par un tel langage. Il répondit que rien ne l’empêcherait d’accomplir les ordres qu’il tenait de la commission d’Hydra, qu’il rendrait très exactement les bâtimens capturés aussitôt que la sûreté de son île n’exigerait plus qu’il les gardât, et qu’au surplus, si on l’attaquait, il se défendrait. — Il reçut une seconde sommation plus hautaine et plus péremptoire que la première ; l’officier chargé de la lui remettre aurait été victime de la fureur des matelots grecs, si leur chef ne lui avait fait un rempart de son corps. Sans attendre l’arrivée des résidens français et anglais, dont le navarque aurait plus aisément accepté la médiation, le commandant russe débarqua des troupes dans Poros. Ce mouvement amena la soumission des habitans. Miaoulis, n’ayant pas eu le temps d’armer ses vaisseaux, ne voulut pas tenter un combat inégal ; il prit en revanche une résolution terrible. Il fit débarquer ceux de ses marins qui paraissaient hésiter à s’associer plus longtemps à son sort ; resté sur la flottille avec vingt-deux hommes et décidé à brûler ses vaisseaux plutôt que de les laisser tomber aux mains des Russes, il déclara à ceux-ci qu’il était prêt à se faire sauter à la première démonstration hostile de leur part. L’amiral Ricord ayant répondu par des boulets à cette déclaration, le navarque n’hésita pas un instant à mettre le feu à la frégate l’Hellas et à la corvette Spezzia, qui s’abîmèrent dans les flots avec un épouvantable fracas. S’étant élancé dans un canot avec ses hommes, il parvint sain et sauf par un véritable prodige à Hydra sous une grêle de projectiles.

Cet acte d’inébranlable énergie fut accueilli en ce temps-là tout à la fois par des louanges excessives et par des reproches exagérés ; il ne fut en définitive ni héroïque, comme les uns le proclamèrent, car il détruisit dans leur berceau les forces maritimes de la Grèce et porta à la nation un irréparable préjudice, ni criminel, comme les autres l’appelèrent, car l’inflexible vieillard, en agissant ainsi, exécutait des ordres qu’il tenait pour sacrés. Aujourd’hui les Grecs, tout en déplorant les funestes conséquences de cette action, la jugent plus froidement ; ils l’envisagent avec raison comme un produit fatal du doute et de l’incertitude qui accompagnent la for-