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intacte, reparut le 12 décembre à Hydra, où il reçut un accueil triomphal. Cette campagne est celle que le général Gordon[1] regarde comme la plus glorieuse pour les Grecs et la plus désastreuse pour les Turcs, qui, du mois de juillet au mois de décembre 1824, perdirent 3 frégates, 2 corvettes, plusieurs bricks, 50 transports et 15,000 hommes. Miaoulis avait, en divers engagemens, consommé 21 chaloupes incendiaires et perdu un seul navire.

Ibrahim, qui surpassait en courage et en habileté tous les autres amiraux turcs, résolut de braver les dangers et les difficultés d’une campagne d’hiver, afin de surprendre les Grecs. Cette hardiesse lui réussit. Il sortit d’Alexandrie dans les derniers jours de février 1825, et six semaines après il débarqua 11,000 hommes et 800 chevaux sur les côtes de Messénie, à l’endroit où s’élèvent les villes fortes de Modon et de Navarin ou Néocastron. Ayant mis le siège devant cette dernière place, il envoya 50 bricks pour s’emparer de Sphactérie, île étroite et longue qui ferme d’un bout à l’autre le vaste demi-cercle dessiné par la rade de Navarin, et qui ne permet de pénétrer dans cette rade que par deux minces passages, l’un au nord, l’autre au midi. Sphactérie avait pour toute défense 8 canons et 350 soldats sous les ordres de Tsamados, le meïlleur ami de l’amiral Miaoulis. Cette faible garnison lutta avec acharnement pendant douze heures. Vers le soir, ceux qui avaient survécu aux combats de la journée se jetèrent dans des embarcations, trompèrent la vigilance de l’ennemi, et gagnèrent les côtes de Morée pendant la nuit. Avant de s’éloigner, ils avaient inutilement exhorté leur chef à les suivre ; celui-ci leur avait répondu ces belles paroles, restées célèbres dans l’Archipel : « Fuyez, mes enfans, et dites à Hydra qu’Anastase Tsamados a fait une bonne mort. » Resté seul avec Sahinis et quelques compagnons déterminés, il s’enferma dans la citadelle, mit le feu aux poudres, et périt dans l’explosion.

À la première nouvelle de l’apparition d’Ibrahim, Miaoulis, qu’un violent accès de goutte retenait dans sa maison, s’était fait transporter à bord sur un brancard, et avait fait voile vers Navarin avec une vingtaine de bâtimens. Une affreuse tempête et des vents contraires lui interdirent constamment l’approche de Sphactérie, à laquelle il ne put porter aucun secours. Lorsqu’il apprit que Tsamados avait succombé, il éprouva une profonde douleur ; laissant tomber sa tête dans ses mains et enfonçant son bonnet pourpre jusque sur ses yeux, ce qui était chez lui le signe ordinaire d’une violente colère, il jura de venger de son propre bras la mort de son

  1. Tome II, p. 168.