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l’encens possède une vertu propre à écarter les maléfices et les apparitions dangereuses.

Quelques mois après la glorieuse affaire de Chios, une nouvelle flotte turque franchit les Dardanelles dans la double intention d’anéantir Spezzia, dont la ruine aurait infailliblement entraîné celle d’Hydra, et de ravitailler la ville de Nauplie, vivement pressée par les Péloponésiens. Le 19 septembre au matin, les vigies de Spezzia reconnurent à l’horizon trois vaisseaux de haut bord, dix-sept frégates et quatre-vingts bricks ou corvettes. Le nouveau capitan-pacha, Abdoullah, s’était mis en campagne avec toutes les forces navales de la Turquie ; il espérait ainsi écraser les Grecs à la première rencontre. Heureusement Miaoulis se trouva en mesure d’opposer cinquante voiles à l’ennemi. Il partagea son escadre en deux divisions : l’une, dont il se réserva le commandement, alla occuper l’entrée du golfe d’Argos, tandis que l’autre, presque toute composée de Spezziotes, s’avança au-devant des musulmans, et manœuvra pour les attirer dans le bras de mer qui sépare Hydra de la terre ferme. Le pacha en effet, ayant vu ces bâtimens rapides se disperser devant lui comme une nuée d’oiseaux, continua lentement sa route vers Nauplie, plein de sécurité. Miaoulis avait en toute hâte expédié ses cinquante navires à la pointe septentrionale de Spezzia, pour y attendre les musulmans au passage. Quant à lui, il était resté seul, avec sa frégate le Mars et deux brûlots, à suivre la piste de ses adversaires. Ces derniers une fois engagés dans le détroit de Spezzia, l’amiral grec lança au milieu d’eux ses chaloupes incendiaires, dont l’une était conduite par le brave Kriésis et l’autre par Anargyros Lébésis, surnommé l’Achille. Ces capitaines réussirent à mettre le feu à deux vaisseaux, sautèrent dans leurs canots, et disparurent au sein d’un tourbillon de flamme et de fumée. Miaoulis se précipita pour les recueillir sur son bord, « pareil à l’aigle qui vole au secours de ses petits, » selon l’expression d’un poète populaire. Au même instant, il déchargea ses deux batteries à la fois, pendant que le bruit lointain du canon lui annonçait que son escadre était tombée en masse sur l’avant-garde de la flotte turque. Abdoullah, troublé par cette double attaque et voyant l’incendie se propager sur ses vaisseaux, perdit la tête, vira de bord et chercha son salut dans une fuite précipitée ; mais il ne tarda point à songer au terrible compte qu’il aurait à rendre à Constantinople, et, redoutant le courroux du grand-seigneur, courroux qui se traduisait ordinairement alors par l’envoi du cordon fatal, il revint sur ses pas. Le lendemain matin, les deux escadres se trouvèrent de nouveau en présence ; vingt-quatre heures se passèrent sans aucun engagement. Comme les Turcs ne sortaient pas de leur immobilité, Miaoulis s’a-