Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Montés sur leurs bricks agiles, ils s’aventuraient au-devant des flottes ennemies, les bravaient par la légèreté de leur course, disparaissaient devant des forces supérieures, attendaient une tempête ou une nuit obscure pour attaquer les vaisseaux turcs dispersés ou maladroitement conduits. Ils abritaient encore leurs frêles embarcations derrière les récifs, dans les anses profondes, épiaient au passage les bâtimens isolés, et se jetaient sur eux à l’improviste ; parfois même ils poussaient leurs excursions jusqu’à l’entrée des Dardanelles et ravageaient les côtes d’Asie. Ces expéditions, conduites sans aucun plan, ne fournissaient pas de triomphe décisif. Miaoulis abandonna une défensive qui n’aboutissait guère qu’à tenir les Turcs en haleine, et s’efforça d’introduire dans les opérations de sa petite flotte l’ensemble et le calcul nécessaires à de sérieux succès. Aussi, tandis que les armées de terre, suivant l’impulsion donnée par Botzaris, s’organisaient et commençaient à présenter l’aspect de troupes régulières, les navires des îles se réunissaient de leur côté en escadres compactes et disciplinées sous la main du nouvel amiral.

Miaoulis illustra le début de son commandement par un fait d’armes qui lui valut un ascendant considérable. Vers le milieu de mars 1822, il fit voile vers Patras avec une escadrille de cinquante bricks. Son intention était de cerner la flotte ottomane, alors mouillée dans ce port, et de la détruire. Par malheur, les vents étant devenus contraires, son brick, le Mars ὁ Ἄρης (ho Arês), et deux autres, ceux de Manoli Tombazis et de Kriésis, parvinrent seuls à portée de l’ennemi. Miaoulis s’étant jeté entre deux frégates turques avec une incroyable témérité, son équipage effrayé voulut le forcer à virer de bord ; l’amiral refusa : une sorte de sédition éclata, et plusieurs matelots s’avancèrent pour se saisir de leur chef. Celui-ci, qui restait habituellement assis auprès du gouvernail, les jambes croisées à la turque, se leva lentement, saisit une carabine, et, couchant en joue le groupe des récalcitrans, menaça de brûler la cervelle au premier qui prendrait la parole pour lui conseiller une lâcheté. Les matelots cédèrent. Le Mars déchargea ses deux batteries, essuya le feu de ses adversaires, et y répondit par une seconde décharge qui coula bas l’une des frégates. Après un combat de cinq heures, les trois vaisseaux grecs, ne pouvant songer à pénétrer à eux seuls dans le port de Patras, s’éloignèrent à la recherche du reste de l’escadre ; les Turcs, frappés de terreur, profitèrent de la nuit pour se sauver à Zante.

Quelques semaines plus tard, on apprit avec consternation la nouvelle des massacres de Chios, la plus belle, la plus florissante et la plus riche de toutes les îles soumises à la domination musulmane. Entraînés par l’exemple de la belliqueuse Psara, excités par de trop