pital qu’elle y avait versé avait plus que triplé. À sa majorité, et en supposant que ce capital suivît la même progression, Francis aurait près de cinq cent mille francs. De ce côté-là, l’avenir était assuré ; mais ce n’était pas tout que d’en avoir préparé les élémens, il fallait encore le consolider. Berthe écrivit à M. Jules Desprez un mot rapide pour le prier de venir à Paris. Le lendemain, en attendant son arrivée, elle interrogea les professeurs de Francis, et voulut connaître à fond leur opinion sur les dispositions et les aptitudes de son Benjamin. Elle le prit lui-même à part et lui tint le langage le plus doux, le plus ferme, le plus propre à le fortifier. Il était seul à présent responsable de son nom ; à l’honneur de ce nom, au sentiment du devoir, il devait tout sacrifier.
M. Jules Desprez, avec qui Berthe n’avait jamais cessé d’entretenir une correspondance suivie, et qu’elle voyait fréquemment, soit à Paris, soit à la Marelle, arriva à l’hôtel de la rue Miromesnil. Il fut frappé de l’altération des traits de Mme Claverond, et sur l’observation qu’il lui en fit : — Ne parlons pas encore de moi, dit-elle ; c’est de vous d’abord qu’il s’agit. Elle l’entraîna dans un petit cabinet où elle se retirait assez souvent, et où son mari, ses enfans, Lucile et M. Desprez avaient seuls le droit de pénétrer. — Me suis-je trompée, reprit-elle, en pensant que vous m’étiez tout acquis, et que je pouvais demander à votre amitié les témoignages les plus forts sans craindre d’en être refusée ?
— Non, répondit M. Desprez.
— Prenez garde ; vous aimez votre vie tranquille en Bourgogne, cette famille d’ouvriers que vous avez rassemblée autour de vous, les vieux amis parmi lesquels vous avez grandi, cette usine que vous avez créée, les occupations qu’elle vous donne, toutes ces choses enfin par lesquelles et pour lesquelles vous avez vécu depuis tant d’années, et qu’il vous faudra quitter pour vous enfermer à Paris, auprès de M. Claverond !
— À quoi bon ?… n’y êtes-vous pas vous-même ?
— C’est que je n’y serai peut-être plus bientôt.
— Que voulez-vous dire ? s’écria M. Desprez.
— Tout à l’heure vous me parliez de moi, poursuivit Berthe ; il faut bien, puisque je vous demande un tel sacrifice, que je vous en dise la raison et que je vous fasse un aveu bien bas. Je me sens fatiguée, et fatiguée n’est même pas le mot vrai,… c’est peut-être épuisée qu’il faudrait dire. J’ai lutté tant que j’ai pu… J’ai caché à tout le monde ce délabrement progressif de ma santé… La nature est à bout de ressources, et le mal est le plus fort… Je ne voudrais cependant pas m’en aller sans laisser quelqu’un auprès de Félix et de mes enfans… Voilà pourquoi je vous ai écrit.