Le vieux notaire avait la langue acérée, et il n’était pas homme à reculer. — Eh ! de quoi, bon Dieu, vous plaignez-vous, monsieur le chasseur ? répliqua— t-il ; on ne dit guère que le quart de ce qu’on pense !
M. d’Auberive salua, mais d’un ton plus net : — Vous parlez comme saint Jean bouche d’or, mon bon monsieur Lecerf, reprit-il ; mais peut-être pourrait-on un jour vous prier de garder pour vous cette belle opinion.
— Là ! là ! ne nous fâchons pas ! répondit M. Lecerf, qui lâcha la bride à son bidet pour lui permettre de brouter en paix : on est encore assez vert pour vous prêter le collet, quoique notaire ; mais s’il vous plaît un instant de raisonner, raisonnons, après quoi on verra à s’expliquer.
Il se pencha sur le pommeau de sa selle, et bien commodément assis : — Vous conviendrez facilement, continua-t-il, qu’un serrurier a bien le droit de parler de serrures, et un laboureur de charrues. Permettez donc à un notaire de parler mariages et contrats. Voilà mon royaume, et les plus beaux chasseurs du monde ne m’en feront pas déguerpir. Les partis sont rares dans le canton, où je ne sais pourquoi il y a disette de jeunes gens. Il faut donc, bon gré, mal gré, qu’on s’occupe de vous, et vous rentrez dans mes domaines par droit d’acquêts et de conquêts. Que vous soyez un aimable garçon, facile à vivre, prompt à obliger les gens et tout à fait galant homme, qui en doute ? Je chanterai vos louanges sur le mode majeur, si cela vous plaît ; mais sur le chapitre de l’établissement spécial qui est de mon ressort, halte-là ! De bonne foi tâchez de voir au fond de votre vie, comme vous voyez au fond de ce ruisseau. Nous avons trente ans sonnés, ce me semble ; nous avons mangé notre bien en herbe, croquant le fonds avec le revenu ; nous avons eu force chiens, force chevaux, force compagnons de plaisir qui buvaient sec, force amourettes qui duraient ce que durent les lunes, et nous avons tenu à honneur de ne négliger aucunes des fredaines qui pouvaient augmenter notre réputation de mauvais sujet… Vous paraît-il que ce soit un joli capital à offrir à un père de famille ? Si vous étiez à la tête de deux ou trois beaux brins de filles en âge d’être pourvues et que l’on vînt vous présenter pour gendre un gars bâti sur votre modèle, vous trinqueriez volontiers avec le camarade, et la chose faite vous lui diriez : Mon bel ami, passez votre chemin, et allez vous marier ailleurs. Est-ce vrai ?… Supposons à présent qu’un propriétaire vienne me consulter dans mon cabinet, — un sanctuaire, monsieur le gentilhomme ; — que voulez-vous en conscience que je réponde ? Trouveriez-vous honnête que je misse votre nom en tête d’une liste de jeunes gens propres à signer un bon contrat ? Vous n’oseriez pas