Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduits par M. de Beaulieu, qui depuis longtemps a bien mérité de l’art qu’il cultive avec autant de zèle que de désintéressement.

La mort, l’impitoyable mort, nous a enlevé cette année une cantatrice charmante, Mme Bosio, dont le public parisien avait presque fait l’éducation. Née à Turin, élevée à Milan, où elle reçut des conseils d’un certain Cattaneo, Angiolina Bosio a débuté de fort bonne heure dans i Due Foscari de M. Verdi avec un succès de bon augure. Après avoir chanté successivement à Vérone, à Copenhague et à Madrid, Mme Bosio vint à Paris en 1848, où d’abord elle ne fut pas remarquée. Engagée à l’Opéra, Mme Bosio fît une grande sensation dans Luisa Miller de M. Verdi et dans le chef-d’œuvre de Rossini, Moïse. Revenue au Théâtre-Italien, Mme Bosio aborda les rôles les plus difficiles de l’école de Rossini avec un éclat qui lui valut une réputation européenne. Elle fut surtout admirable dans Matilde di Shabran par la grâce de sa personne et la prodigieuse flexibilité de sa voix limpide. Engagée au théâtre italien de Saint-Pétersbourg, Mme Bosio y est restée plusieurs années, vivement appréciée par la haute société russe, dont elle avait gagné les suffrages. C’est là qu’elle est morte le 31 mai 1859, à peine âgée de trente ans. C’était une femme remplie de grâce, d’une taille élancée et d’une physionomie charmante. Douée d’une voix de soprano étendue, éclatante et très flexible, Mme Bosio était surtout une cantatrice brillante, dont le style fleuri et tempéré ne s’est jamais élevé jusqu’à l’expression de la passion. Mme Bosio appartenait à cette famille de cantatrices élégantes qu’a fait éclore en si grand nombre la musique de Rossini et de son école.

Un artiste honorable, un professeur connu par des travaux utiles à l’enseignement de la musique, M. Auguste Panseron, a été aussi enlevé par la mort le 27 juillet 1859. Né à Paris le 26 avril 1795, M. Panseron était fils d’un professeur de musique qui fut l’ami de Grétry, et qui l’a aidé à écrire l’instrumentation de plusieurs de ses derniers opéras. Admis au Conservatoire en 1805, le jeune Panseron y remporta successivement le prix de solfège, celui d’harmonie, et en 1813 le grand prix de composition, qui lui fit faire le voyage d’Italie. Il se trouvait à Rome en 1816, alors que Rossini composait pour le théâtre Apollo ce chef-d’œuvre de grâce, de jeunesse et de folle gaieté qu’on appelle il Barbiere di Siviglia. De l’Italie, M. Panseron passa en Allemagne, s’arrêta à Vienne, à Munich, et puis à Eisenstadt, chez le prince Esterhazy, qui le nomma son maître de chapelle honoraire, poste qu’avait occupé l’immortel Haydn. Ce que c’est que de nous ! Revenu à Paris en 1818, après une excursion à Saint-Pétersbourg, M. Panseron s’est essayé dans toute sorte de compositions, et voulut même aborder le théâtre, où le ciel ne lui fut pas propice. Il se rabattit alors sur un genre plus modeste, et chanta sur tous les tons ; et avec accompagnement de toute sorte d’instrumens agrestes, Malvina, On n’aime bien qu’une fois, appelez-moi, je reviendrai, Petit blanc, et surtout Au revoir, Louise, romance devenue très populaire, dont les paroles sont d’un gracieux esprit, M. Emile Barateau, Panseron était si heureux du succès de ses barcarolles qu’il allait les chanter partout, assis sur son léger bateau et avec une voix qui n’a jamais pu être classée. Comme il était bon harmoniste et passablement content de tout ce qu’il faisait, M. Panseron eut un jour l’idée de se permettre une légère fraction aux règles, et mit au bas d’un passage qui contenait deux quintes