Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Locke. Depuis lors la réforme a commencé ; il s’est fait beaucoup de bien ; mais au milieu de singuliers abus et de préjugés non moins singuliers, le mal pouvait n’être pas aussi grand qu’il le paraissait à la raison. Les choses humaines ont heureusement moins besoin de conséquence que l’esprit humain.

Ce sont là pourtant de ces épisodes historiques que l’on aimerait le mieux à connaître, que l’on se plaît le plus à se représenter, les conversations de Locke et de Guillaume III. Elles sont rares les heures où la puissance et la philosophie confèrent ensemble : la politique et la spéculation passent leur temps à s’entre-fuir et à se dédaigner mutuellement, et leur alliance, essayée de nos jours, a plutôt ressemblé à une liaison romanesque qu’à un durable mariage ; mais on ne peut s’empêcher de croire que Guillaume et Locke, ces deux libérateurs, ne se rencontrèrent pas inutilement pour les destinées d’un grand peuple. Une importante question s’était élevée vers le même temps. L’acte du règne de Charles II qui depuis 1685 régissait temporairement la presse et soumettait les livres à la censure et la librairie au monopole expirait en 1694. Devait-il être renouvelé ? On en délibéra. Les observations sévères de Locke sur chacun des articles qui le composent existent encore, et nous y lisons ce qu’il dut en dire s’il fut entretenu à Kensington d’une question dont il était le juge le plus compétent. Il semble naturel qu’appelé précisément à cette époque dans la sphère du gouvernement, il ait été pour quelque chose dans l’établissement de la liberté tutélaire qui luit sur l’Angleterre depuis plus de cent soixante ans.

Une cause plus haute et plus sacrée peut-être sollicitait encore son zèle. Guillaume III n’avait pas renoncé à l’idée d’envelopper dans un vaste système de compréhension toutes les nuances du christianisme. Ces mots comprehension et toleration exprimaient en anglais les deux manières de concevoir un régime libéral pour les consciences. L’un conduit à une loi et à une liberté égale pour tous les cultes, l’autre à l’idée d’une protection et d’un privilège pour un seul avec la tolérance pour tous les autres. Le premier était le vrai nom du régime que réclamait Locke pour la paix et la dignité des religions elles-mêmes. Il avait entrepris, pour affermir l’autorité de Guillaume, de reprendre la thèse du gouvernement fondé sur un mutuel engagement du prince au peuple contre le droit absolu et suprême d’une royauté tombée du ciel. Pour seconder les vues libérales du prince, il sut trouver l’argument philosophique le plus propre à fondre de son temps toutes les croyances dans la liberté légale. Il ne suffisait point alors d’affirmer les droits de la pensée, la sainteté de la conscience, le caractère usurpateur de tout pouvoir qui s’érige en vengeur de la vérité spéculative ; il n’était