Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/473

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comptons 33 amiraux, vice-amiraux ou contre-amiraux ; l’Angleterre en a eu jusqu’à 160, et quoique ce nombre ait été réduit, il reste encore très imposant. On voit quelle distance sépare les deux cadres. Tout n’est pas sérieux dans celui de l’amirauté anglaise. Les règles de l’avancement n’y sont pas précises comme les nôtres, et bien des officiers supérieurs y figurent au titre actif, qui devraient en être depuis longtemps éliminés. C’est cette abondance de vétérans qui faisait dire à un membre du parlement que la liste des amiraux anglais était de nature à faire trembler le pays plus que l’ennemi[1]. Si le mot est vif, il caractérise bien l’abus. Nos cadres sont plus élastiques) ils font passer dans la réserve, à un âge déterminé et qui s’élève suivant les grades, tous les officiers indistinctement, hormis les amiraux, ce qui limite ce régime de faveur à deux titulaires en temps de paix, et trois en temps de guerre. Ce principe est salutaire, quoique rigoureux : s’il écarte quelques officiers supérieurs dont les conseils et le concours seraient encore d’un prix réel, c’est la seule chance ouverte à la génération d’officiers qui arrive. Par la longue paix qui règne, il ne leur resterait que les chances de la mortalité naturelle ou de la retraite volontaire, qui ne créent pas assez de vides pour satisfaire aux légitimes ambitions et maintenir l’arme sur un pied de rajeunissement. Ce régime a un autre avantage : il ne confère les grades qu’au mérite et à l’ancienneté, et n’admet aucune des exceptions dont le régime anglais est prodigue ; il ouvre de plus la porte aux officiers mariniers et aux sous-officiers que leurs services rendent dignes de l’épaulette, ce qui n’a lieu en Angleterre ni pour la marine ni pour l’armée. Voilà les faits ; mais, pour en revenir au nombre, il est loin de se balancer en notre faveur. En supposant que sur ces 6,000 officiers l’amirauté ne puisse en employer utilement que 4,000, ce serait encore le double au moins de ce dont nous disposons. C’est à la qualité de combler la différence, et nous connaissons assez nos officiers de marine pour dire qu’ils supporteraient sans fléchir le poids de cette situation inégale.

Là-dessus, les garanties ne manquent pas : il suffit de comparer ce qu’était notre marine il y a vingt ans et ce qu’elle est aujourd’hui. Son réveil vraiment sérieux remonte à cette escadre que forma en 1839 l’amiral Lalande, et dont les campagnes ont été racontées

  1. La Revue d’Edimbourg contient à ce sujet un détail curieux et qui mérite d’être cité. Sur 100 amiraux, 39 ont atteint l’âge de 70 à 87 ans, 14 seulement sont en activité. Sur 358 capitaines, 31 ont plus de 60 ans, 180 n’ont jamais servi dans leur grade, 90 seulement ont de l’emploi. Dans les grades inférieurs se trouvent aussi un très grand nombre d’officiers que leur âge ou leurs infirmités rendent impropres à un service actif.