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l’élan qu’imprimerait à sa population la moindre menace à l’intégrité de son territoire, et sur le nombre des marins que la guerre rendrait disponibles en les arrachant à l’exercice de leur industrie.

À cette population de 420,000 gens de mer où les flottes anglaises puisent leurs équipages, que pouvons-nous opposer ? Disons sur-le-champ que, sous ce rapport, nous sommes en progrès. Je viens de parler du régime des classes et des servitudes qui l’accompagnent ; il faut ajouter que ces servitudes ont été allégées par des procédés bienveillans. Une sorte de roulement s’est établi dans les réquisitions, et les usages ont adouci les rigueurs de la loi. Au bout de trois ans, un marin est congédié, et, sauf les cas urgens, n’a pas à fournir une seconde période de service. La profession s’est ressentie de ces ménagemens ; elle a vu s’accroître le nombre de ceux qui l’exercent. Les registres de notre inscription comptent aujourd’hui 90,000 marins environ qui pourraient être enrôlés pour les besoins de l’armée navale. Peut-être y a-t-il dans ce chiffre quelques non-valeurs ; elles ne sauraient être nombreuses et n’y apporteraient qu’une diminution peu sensible. Quant à la qualité des hommes, elle est excellente et supporterait toutes les comparaisons. Ce qui frappe en eux et les distingue des autres équipages, c’est la variété des races et le mélange des aptitudes. Le marin né sur les bords de l’Océan n’a de commun avec le marin né sur les rivages de la Méditerranée que la pratique de la mer et les connaissances professionnelles ; pour tout le reste, ils diffèrent. Il y a des nuances entre le marin de la Manche et celui de la Mer du Nord, de plus grandes encore entre le marin breton et celui du golfe de Gascogne. Chaque type se conserve, même dans les équipages amalgamés. L’ensemble compose une marine vigoureuse, alerte, dure au mal, pleine d’entrain et de ressources, ici plus intelligente, là plus solide, et qu’on peut conduire au feu avec l’assurance que ni l’habileté ni la bravoure ne lui feront défaut : elle comprend dans ses rangs, et en grand nombre, des canonniers à brevet qui n’ont point de rivaux pour l’instruction dans aucune flotte. Même réduit par les éliminations à 80,000 hommes, ce personnel peut suffire au service de nos flottes dans les limites que nous nous sommes assignées. Il irait de pair, au début d’une guerre, avec celui de la puissance la mieux pourvue en marins. Malheureusement c’est là tout notre enjeu, et à cette armée il n’y a pas de réserve ; les pertes ici ne pourraient pas se réparer. Un marin ne s’improvise pas ; c’est le produit du temps et d’une éducation acquise à une rude école. Quand on réfléchit à ce fait, on est ramené malgré soi à la cause principale d’où il découle. L’infériorité numérique de notre population maritime provient surtout du régime commercial auquel nous sommes fatalement