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rang, l’Ariadne, qui vient d’être mise à flot et qui est armée de vingt-six pièces de gros calibre. Il y a en Russie et aux États-Unis des frégates qui, par les proportions et les conditions d’armement, sont l’équivalent d’un vaisseau de troisième classe. Ce qui constitue la différence réelle, c’est l’énergie du feu. Aussi est-ce à ce point surtout qu’il faut s’attacher ; il en est un autre auquel la vapeur ajoute un prix plus grand, c’est la vitesse.

Sans être homme du métier, il est facile de comprendre ce qu’est la vitesse à la mer. Voici deux flottes en présence : l’une des deux a sur l’autre l’avantage de un, deux, trois nœuds dans la marche, c’est-à-dire que, dans le cours d’une heure,elle gagnera sur la flotte ennemie un tiers, deux tiers de lieue, ou une lieue de chemin. Qui ne voit le parti qu’en tirera la flotte favorisée ? Dans le combat, ses vaisseaux pourront à leur gré quitter les positions où ils sont en souffrance pour prendre celles où ils doivent le mieux opérer ; ils choisiront leurs adversaires, les placeront entre deux feux, s’éloigneront pour réparer leurs avaries et revenir à leur poste quand ils se seront remis en état, simuleront une retraite afin de rompre les lignes de l’ennemi et recommencer la lutte quand il se sera désorganisé dans la poursuite. Après le combat, l’avantage persiste. Vaincue, la flotte animée d’une vitesse plus grande allégera les conséquences de sa défaite et sauvera presque tous ses vaisseaux ; victorieuse, elle ne laissera échapper aucun de ceux qui lui auront tenu tête, rentrera au port avec ses prises, et infligera à la marine rivale un de ces dommages dont on se relève difficilement. Avec la voile, les bénéfices de la vitesse étaient grands sans doute, mais ils étaient subordonnés aux vents et aux allures ; avec la vapeur, rien ne les amoindrit : ils se réalisent presque à coup sûr. Aussi y a-t-il lieu de porter de ce côté l’attention la plus soutenue, et dans ce sens un trop grand nombre de vaisseaux à vitesse uniforme présenterait un inconvénient de plus. La vitesse, il est vrai, a une limite ; vouloir s’y dépasser à l’envi serait une tâche puérile et onéreuse. La vitesse dépend de la machine, et la machine dépend elle-même de l’espace qu’on peut lui donner. L’esprit d’innovation est donc contenu ; mais il n’en est pas moins démontré que, dans des termes raisonnables, cet objet doit rester constamment à l’étude, et cette nécessité toujours présente à la pensée de nos ingénieurs.

Une revue anglaise soulève une autre difficulté, c’est de savoir si l’hélice est réellement et entièrement invulnérable. On n’ignore pas que, dès l’origine, l’appareil à roues fut reconnu impropre à un service de guerre. Les pales, agissant à découvert, étaient pour ainsi dire livrées à l’action des boulets, et quelques coups heureux devaient suffire pour démonter les machines. Avec l’hélice, cet inconvénient disparaissait. Immergée comme elle l’est, on a dû la croire