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paraît-il, sont concluantes ; la presse anglaise en a parlé avec chaleur. À une distance de cinq milles, des boulets ont porté dans un blanc de six pieds carrés avec une justesse pour ainsi dire mathématique. Avant la fin de l’année, cent canons de ce modèle entreront dans les magasins de l’amirauté. Tout en gardant une réserve plus grande, nous n’en marchons pas moins. Si nos informations sont exactes, le colonel Treuille de Beaulieu aurait dressé les plans et arrêté les détails d’un canon de marine dont la puissance défierait toutes les rivalités. Il s’agirait d’une pièce de 3 mètres de longueur avec des dispositions appropriées, qui non-seulement porterait un boulet à 7 et 8,000 mètres, mais à une distance moindre traverserait une cuirasse de 2A centimètres d’épaisseur[1]. Si cette découverte se vérifie, elle aura pour conséquence l’abandon du système des revêtemens ; ils n’auront plus d’objet dès qu’ils cesseront d’être impénétrables.

Voilà donc les services nouveaux que la marine a été appelée à rendre sous le régime de la liberté des mers ; elle est devenue le laborieux compagnon et l’utile auxiliaire de nos armées de terre. Loin de moi la pensée de déprécier ces services, qui ont été si bien définis par un si noble juge : ils sont évidens, incontestables. Plaçons-nous pourtant dans l’hypothèse contraire, celle d’une mer disputée. Ces services, peut-elle alors les rendre, et ne serait-il pas imprudent de l’y condamner ? Peut-elle prendre à sa remorque ces canonnières, ces batteries flottantes, tout ce lourd et encombrant convoi, pour le conduire sur le théâtre de ses opérations ? Elle a en face d’elle, disposé à lui barrer le passage, un ennemi résolu dont les premiers feux désempareront ces canonnières, sépareront de leurs remorqueurs ces batteries flottantes, destinées, si elles sont invulnérables, à aller échouer sur quelque côte au premier coup de vent. Ces types de fantaisie n’ont plus rien, de sérieux, si une véritable guerre maritime éclate ; ils ne suffiraient même pas pour la surveillance du littoral. Il n’y a plus alors qu’une marine de combat ; tout rôle auxiliaire s’efface devant le rôle principal. Il faut avoir à la mer des flottes libres d’empêchement, dégagées dans leurs allures, sans autre but assigné que la recherche de l’ennemi, ne comptant dans leurs rangs que des bâtimens qui puissent se mouvoir et se défendre par eux-mêmes. On revient alors aux traditions, et si elles ne suffisent plus, on les complète par la meilleure des épreuves, celle du champ de bataille.

C’est à ce point de vue qu’il faut se placer lorsqu’on veut juger ce que peut être une descente et dans quelles limites on doit la

  1. Une expérience faite en Angleterre a également prouvé qu’un canon Armstrong de 68 peut traverser à petite distance une plaque en fer de quatre pouces d’épaisseur.