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la marine, à propos du budget de 1859, porte encore à 63 millions environ le montant des crédits annuels dont notre flotte a besoin pour être mise sur un pied définitif. Sur ces crédits, dont le ministre demande la prolongation jusqu’en 1871, 43 millions environ seraient affectés au maintien des armemens actuels, des approvisionnemens courans et au renouvellement du matériel, 17 millions aux constructions neuves et au développement de nos établissemens maritimes. La somme totale, au bout de ces treize années, irait à 659 millions pour le premier de ces emplois, à 213 millions pour le second. À ce prix, nous aurons 150 bâtimens de guerre à vapeur de divers rangs, bien pourvus, bien installés et au niveau des meilleurs modèles. Des deux côtés, on le voit, ni les soins, ni l’argent n’ont été épargnés pour élever ou maintenir la balance des forces.

Qu’à ce sujet on échange des récriminations, il n’y a pas lieu de s’en étonner : entre les deux pays, c’est la monnaie courante et comme un assaut d’intempérances de langage ; à force d’en user, on en a beaucoup émoussé l’effet. Rien de plus enclin à se montrer mécontent d’autrui que les gens mécontens d’eux-mêmes. S’il fallait rechercher ici qui a le plus de griefs et les griefs les mieux fondés, qui a donné l’exemple et qui l’a suivi, laquelle des deux marines a pris les devans et entraîné l’autre dans de justes représailles, le cas serait très embarrassant. Les élémens manqueraient sur la nature et la date, sur l’importance relative des travaux, et les faits fussent-ils fixés, les intentions resteraient à l’état de problème. Le mieux est de renvoyer les parties dos à dos. Que répondre à des argumens de la nature de ceux dont se sert un recueil anglais ? « Voyez ce qui se passe, dit-il, et convenez que toutes les alarmes sont légitimes. Il n’y a plus en France qu’un aliment pour les esprits, c’est la gloire militaire ; il n’y a plus qu’un moyen de s’y faire un nom, c’est par l’épée. Naguère ce goût des armes, si naturel chez nos voisins, était tempéré par quelques diversions. Il y avait les émotions de la tribune avec son cortège d’orateurs éminens, il y avait les agitations de la vie politique qui donnaient un autre cours aux passions de la foule ; il y avait cette occupation incessante d’un peuple qui fait ses propres affaires et en a la responsabilité. Sur les débris de ces élémens d’enthousiasme et d’activité, que reste-t-il aujourd’hui ? Le prestige guerrier. Seul, il a la chance d’entraîner et d’échauffer les opinions : comment n’y cèderait-on pas ? Toute la sagesse, toute la modération du monde échoueront devant l’empire de cette situation ; il faudra tenir cette population en haleine, lui rendre les spectacles qui la touchent jusqu’à l’enivrement, les émotions qu’elle aime et où elle puise l’oubli des émotions qu’elle a perdues. De là une existence nécessairement militante,