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et de Jean d’Hiver, nous tirions de Mombalère. Aussi Marceline avait-elle contre lui une haine qu’elle ne se donnait pas la peine de cacher. Elle prétendit que l’huissier avait conçu l’orgueilleuse espérance d’épouser la demoiselle de Mombalère. Zulmé considéra cette hypothèse comme une insulte, dont il fallut que le petit gnome demandât pardon. Briscadieu se montrait pour moi d’une grande complaisance. Il m’avait surtout séduit en me conduisant à la chasse avec lui et en me donnant des munitions pour un mousquet et une grande canardière rouillée que j’avais trouvés au château.

Vous pouvez dès à présent comprendre de quelle façon se passèrent mon enfance et la première partie de ma jeunesse. Je ne sortais du château que le dimanche. Ce jour-là, Zulmé, qui avait hérité de la garde-robe de ma mère et de ma grand’mère, avait soin de tirer de ses armoires une robe de soie à grands ramages, un mantelet orné de vieilles dentelles, un chapeau à plumes. Elle m’affublait d’un habit cousu par un tailleur de l’endroit, mais fait de quelque étoffe voyante et de prix. Dans un char traîné par des bœufs conduits par Jean d’Hiver, nous nous rendions à l’église, où nous entendions la messe dans une chapelle édifiée par un de nos ancêtres. Il est vrai que les bourgeois se moquaient un peu de la toilette surannée de ma sœur ; Zulmé était dédommagée de ces moqueries par l’admiration des paysans, qui, ignorant les modes, se passionnaient volontiers pour la splendeur des étoffes. Excepté Briscadieu, nous ne recevions personne au château, et personne ne songeait à nous visiter. Cet isolement m’avait donné une humeur tout à fait sauvage. Je liai cependant connaissance avec une bande de bohémiens qui vinrent pendant quelques années camper dans les bruyères de Mombalère.

Ces zingari parcourent au commencement de l’hiver les départemens voisins des Pyrénées. Leurs bandes se composent d’ordinaire de trois ou quatre hommes, conduisant une charrette qui renferme tout un monde de femmes et d’enfans. Ils ne logent jamais dans les villages ; ils campent dans les bruyères ou dans les bois. Leur profession ostensible est celle de tondeurs de chevaux ; au fond, la mendicité, le vol et la bonne aventure suffisent en grande partie à leur existence. Ils inspirent une sorte de répulsion à nos paysans, parce qu’ils ont la réputation de se nourrir de toute sorte de reptiles et d’animaux morts de maladie. On les accuse, non sans raison, de dévaliser les jardins et les poulaillers. Cependant les femmes se rendent souvent auprès des bohémiennes pour se faire dire la bonne aventure, et les hommes vont consulter les bohémiens quand ils ont quelque cheval de difficile défaite, car ce sont des maquignons consommés, et ils ont des secrets pour changer l’animal le plus taré en une bête de prix. J’étais presque un enfant encore, lorsque je les