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persécution, arrachera son esprit aux principes qui la lui ont attirée pour l’absorber même dans ce qu’il y a de plus pur et de plus élevé. N’en déplaise à tous les Silvio Pellico du monde, les cachots de la tyrannie sont un lieu mal choisi pour apprendre la résignation.

La pensée de Locke dans l’exil se reportait principalement sur les grands intérêts de justice et de liberté pour lesquels il avait encouru ses disgrâces. Le premier de tous peut-être, en ce moment du moins, était la tolérance religieuse. Elle lui avait toujours été chère ; elle le devenait encore davantage, quand deux églises, l’une dotée, l’autre dépossédée par l’état, briguaient la protection publique ou la faveur secrète du pouvoir royal, lui offrant en échange le droit divin et l’obéissance passive. Dès l’année 1667, on aurait pu trouver dans son recueil secret un autre sic cogitavit J. Locke, et cette méditation se terminait par sept propositions sur la tolérance et ce qu’il appelait le latitudinism. Il pensait dès lors que la prétention d’établir l’uniformité, c’est-à-dire de démontrer des doctrines reconnues pour incompréhensibles et d’obliger les hommes à y acquiescer dans les formes proposées par les docteurs des différentes églises, ne devait réussir qu’à propager l’athéisme. En 1680, le docteur Stillingfleet avait prêché devant le lord-maire un sermon sur les maux de la séparation. Combattu par les plus habiles des séparatistes, il avait répondu par un livre intitulé la Déraison de la Séparation. Dans un écrit qu’il n’a ni achevé ni imprimé, Locke prit la défense de la non-conformité, et cette discussion, tout anglaise et un peu technique, n’est pas sans force. Enfin il se résolut à développer ses idées dans une lettre en latin sur la tolérance écrite dès 1685, et publiée à Gouda quatre ans plus tard. Il aurait désiré que son nom restât inconnu, et dans une lettre à Limborch il lui reproche de n’avoir pas gardé son secret. Cependant l’écrit était adressé ad clarimmum virum T. A. R. P. T. O. L. A., et écrit a P. A. P. O. J. L. A., ce qui voulait dire : Theologiœ apud remonstrantes professorem, tyrannidis osorem, Limburgium Amstelodamensem a pacis amico, persecutionis osore, JOANNE LOCKIO, ANGLO. L’ouvrage ne fut continué qu’en Angleterre pour seconder les vues libérales de Guillaume III en matière de religion ; mais sous ce rapport Locke et Guillaume étaient en avance sur la nation anglaise, même délivrée des Stuarts.

La délivrance vint en effet : il est difficile de croire que Locke n’eût pas vu de quel côté elle devait venir, ni cherché à se rapprocher par avance du prince d’Orange. S’il s’était défié de Monmouth, il devait se fier en Guillaume. Locke était le philosophe dont le prince devait être le héros. La sagesse, le calme, la persévérance, cette passion froide que rien n’exalte, que rien n’abat, cette sagacité