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et la réelle distinction de la tenue habituelle de Faustin Ier, ne dut pas peu contribuer à abaisser jusqu’au diapason d’une raillerie plutôt compatissante qu’insultante l’explosion d’outrages qu’on pouvait craindre d’une populace déchaînée.

Mais les quolibets glissaient cette fois sans l’entamer sur l’épiderme, ordinairement si sensible, du vieil empereur, qui était tout entier à la surveillance de ses bagages. Ce qui le faisait à chaque instant se retourner, c’était notamment une certaine malle en cuir verni qu’il cherchait avec une visible inquiétude des yeux à chaque remous du cortège, et en s’écriant : Où ti-li malle claira moa là ? (littéralement : où est-elle ma malle qui luit ?) Le soldat qui la portait semblait affaissé sous le poids, et finit par menacer de lâcher tout si on ne lui venait en aide. Soulouque jeta vivement son chapeau à terre, et, ouvrant ses bras comme pour recevoir le précieux fardeau, dit : Ba-moé bagaye moé,.. moé poté li moé-même (donnez-moi mes affaires, que je les porte moi-même) ! Il ne fallut rien moins que les instances des généraux et de l’impératrice pour l’empêcher d’offrir au monde le spectacle navrant d’un empereur chargeant sa malle sur ses propres épaules. Cette malle ne renfermait, on le devine, ni des secrets d’état, ni même la couleuvre sacrée du vaudoux, laquelle fut retrouvée au palais le 21[1], mais bien des bijoux, plus une somme monnayée qu’on estime à 500,000 fr.

Un incident de tout autre nature marqua le trajet du palais au consulat. Quand l’ex-empereur passa devant la maison de ce général Toussaint dont nous avons raconté la mort, la veuve du supplicié lui montra le portrait de celui-ci, en disant d’une voix tragique et lente : « Soulouque, Soulouque, regarde Alexis Toussaint que tu as assassiné !… C’est aujourd’hui ton propre enterrement, auquel Dieu, pour te punir, te fait assister toi-même. » D’après les uns, Soulouque, à la vue de l’image qu’on lui présentait, se serait écrié, dans une espèce d’égarement : « Donnez-moi, donnez-moi mes pistolets (il les avait aux mains), que je tue cette méchante femme ! .. » Mais, d’après une autre version beaucoup plus autorisée, il aurait baissé la tête avec découragement. Il était en effet impossible que cette idée d’enterrement n’eût pas traversé comme un sinistre éclair ses préoccupations d’avare, quand son regard, à la recherche de la malle qui luit, tombait sur la partie féminine du cortège. L’impératrice, les princesses, les suivantes, avec cet instinct de mise en scène particulier à la race noire, marchaient à la file, d’un pas lent et compassé, couvertes, selon les rites du deuil

  1. Personne n’a pu me dire ce qu’elle était devenue. Il est probable que quelque papa-loi l’aura pieusement recueillie.