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ouvrant les colonnes de ses volumineux journaux à une critique indépendante, a bien servi la cause d’une philosophie libre et d’une religion éclairée. Son nom reste honorablement attaché à celui de Locke comme son traducteur et son biographe. C’est dans la Bibliothèque universelle de Le Clerc que Locke publia ses premiers essais, d’abord des extraits d’ouvrages, puis des écrits plus originaux, comme sa Nouvelle Méthode pour dresser des recueils, et bientôt un sommaire de son grand traité philosophique.

On ne le laissait pas vaquer en paix à ces innocens travaux, on s’obstinait à l’envelopper dans toutes les trames politiques qui pouvaient s’ourdir en Hollande. Après la mort de Charles II, les projets du duc de Monmouth ne furent pas longtemps un mystère, et il n’était pas encore embarqué que l’envoyé d’Angleterre Skelton adressait aux états-généraux un mémoire tendant à obtenir l’extradition ou tout au moins l’expulsion de tous les sujets rebelles de sa majesté qui profitaient de l’hospitalité hollandaise pour conspirer contre son honneur ou contre sa vie. Il en donnait la liste, contenant quatre-vingt-trois noms, et celui de Locke était du nombre. Le prince d’Orange avait de bonnes raisons pour ne point protéger les desseins de Monmouth, et les autorités d’Amsterdam seules élevaient des difficultés qui profitèrent à son entreprise. Cependant une négociation suivit qui pouvait d’un moment à l’autre se terminer à la satisfaction du gouvernement anglais ; Locke dut songer à sa sûreté. Il s’était de bonne heure éloigné du littoral pour éviter toute occasion et toute apparence de contact avec Monmouth et ses partisans. Il trouva un secret asile chez des amis. Pendant ce temps, ceux qu’il avait laissés en Angleterre ne l’oubliaient pas. William Penn se souvenait de son camarade d’études, et comme il jouissait auprès de Jacques Il d’une faveur que lui a si sévèrement reprochée lord Macaulay, il demanda au roi le pardon de Locke ; mais Locke répondit qu’il n’y avait point lieu au pardon là où il n’y avait aucun crime. Lord Pembroke, fidèle à une ancienne amitié, saisit également toutes les occasions de parler au roi, et finit par obtenir de lui l’assurance de ne plus écouter contre Locke de rapports défavorables, et l’autorisation de lui écrire qu’il pouvait revenir en Angleterre. Il alla jusqu’à promettre au roi de le lui amener pour lui baiser la main ; mais Locke pensa toujours que sa dignité, pas plus que sa sûreté, ne lui permettait d’accepter une grâce qu’il ne demandait pas. On ne pardonne point l’injustice qu’on a commise, on la répare. Quoique sévèrement éprouvé dans sa santé par le climat, obligé à vivre de son travail et toujours exposé au danger d’une dénonciation, aux imprudences de son parti, aux poursuites capricieuses d’un pouvoir ennemi, il aima mieux attendre noblement en