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d’une logique célèbre dans l’université d’Oxford, dont elle est restée depuis 1692 le bréviaire philosophique. Il proscrivait ainsi un formidable rival ; mais disons à sa décharge qu’il l’ignorait : la philosophie de Locke était encore un secret pour le monde, et les haines ou jalousies philosophiques ne furent pour rien dans l’acte de rigueur dont Locke fut frappé. C’est ce que lord Grenville a eu fort à cœur d’établir contre Dugald Stewart. Il a de même tenu à remarquer que ce n’était pas proprement l’université qui avait expulsé Locke ; c’était le roi qui l’avait destitué, et elle n’avait ni résisté ni réclamé, voilà tout. Que l’autorité de l’inspecteur suprême de l’établissement pût aller jusque-là, il est fort permis d’en douter. Il est même certain que ses ordres auraient dû être transmis par le chancelier, non par un secrétaire d’état, et la plus simple justice voulait qu’avant d’être frappé, Locke fût entendu, ou qu’on procédât du moins à quelque information. Cependant on doit reconnaître que les droits du roi sur le collège n’étaient pas fixés alors comme ils l’ont été plus tard, et ce qui semblerait indiquer que l’acte, pour être inique, n’était pas irrégulier, c’est que cinq ans après, et sous le règne de Guillaume III, Locke rédigea une pétition pour en demander l’annulation, et renonça bientôt à insister sur cette demande. La mesure prise à son égard n’en est pas moins odieuse, et ceux qui l’ont prescrite comme ceux qui s’y sont prêtés trouveront dans les pages de toute histoire d’Angleterre une ligne de condamnation. Il est heureux que quelquefois, dans leur ignorance dédaigneuse, les despotes, en se passant une fantaisie d’arbitraire sur un homme obscur, tombent sans s’en douter sur un de ces hommes rares dont la renommée à venir immortalisera le souvenir de leur iniquité.

Rien n’était plus injuste en effet que de soupçonner Locke d’aucune participation active aux menées des réfugiés de Hollande. Il y rechercha surtout ces citoyens de la république des lettres pour qui les Provinces-Unies étaient une patrie adoptive. Il y retrouva Guénelon, ce médecin qu’il avait connu à Paris, et qui se conduisit comme un ami. Il se lia avec Benjamin Furley, qui le logea à Rotterdam, et qui avait écrit contre les rêveries d’Antoinette Bourignon. Il vit dans cette ville Bayle, qui s’y était retiré depuis 1681, et qui fonda trois ans après ses Nouvelles de la République des lettres ; mais Locke ne fit que le voir, et il ne forma de véritable intimité qu’avec Limborch et Le Clerc. De ces deux savans arminiens, le premier, petit-neveu d’Episcopius, héritier de ses doctrines, fidèle à son esprit, a, dans un grand traité de théologie, établi dictactiquement ce christianisme simple, qui peut avoir été celui des pères antérieurs au concile de Nicée. Animé du même esprit, Le Clerc,