de l’esprit, quoiqu’il eût trouvé ce scepticisme insensé. Il n’a pas su se préserver d’un danger qui menace toujours la méthode, d’ailleurs excellente, de rechercher la vérité par l’étude de l’esprit humain.
La doctrine qui assigne à la sensation une part démesurée dans la connaissance semble au premier abord rendre notre âme tellement dépendante des objets extérieurs, qu’il faut excuser ceux qui, connaissant peu l’histoire des systèmes, se hâtent de confondre cette doctrine avec le matérialisme. Cette doctrine est cependant loin d’être inséparablement liée aux négations malheureuses dont le matérialisme est souvent accompagné. Sans remonter à des pères de l’église, l’évêque Huet blâmait fort Descartes de ne pas dériver des sens toutes nos connaissances, et, chose remarquable, Peter Browne, qui a été évêque de Cork, adressait à Locke le même reproche ; on peut donc errer sur l’origine des idées sans être incrédule à l’existence de Dieu, de l’âme et de la morale. Quant à Locke, sa vie nous a montré ses croyances. Spéculativement, il voit Dieu dans l’ordre de la nature ; dans la foi en Dieu, il voit l’appui et la sanction de la morale. Quant aux fondemens de la religion naturelle, il ne se montre pas fort touché de la double preuve éminemment métaphysique à laquelle Descartes a attaché son nom. On en trouve une critique dans l’Essai, et une autre plus explicite peut-être a été extraite des manuscrits légués à lord King ; mais nous ne pouvons faire à Locke un grand crime d’avoir écarté une démonstration qui, malgré sa haute valeur, peut si difficilement être exposée sans apparence de paralogisme, que des esprits supérieurs, depuis Arnauld jusqu’à Jouffroy, n’ont pu s’en accommoder. Elle a été généralement peu comprise par les Anglais, qui lui préfèrent, presque sans exception, l’argument pris de l’ordre du monde, et tendent, comme saint Thomas, à repousser toute démonstration à priori de l’existence de Dieu. Et cependant Locke, en écartant celle de Descartes, en présente une qui lui est propre et qui offre tout autant les caractères d’une preuve à priori que la célèbre démonstration du docteur Clarke.
L’immatérialité de la nature de Dieu paraît à Locke démontrable, et le raisonnement qui l’en persuade aurait bien pu le rendre plus ferme sur l’immatérialité de l’esprit en général. Cependant en distinguant la substance spirituelle de la corporelle, en prouvant que la première nous est pour le moins aussi bien connue que la seconde, il doute que nous puissions affirmer que « Dieu n’ait point donné à quelques systèmes de parties matérielles disposées convenablement la faculté d’apercevoir et de penser. » Mais ce doute tant reproché lui vient à l’appui de cette proposition : « Notre connaissance