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France comme l’accompagnement de l’incrédulité, et sans doute le socinianisme, arrivé au déisme pur, ne lui inspirait pas une aversion égale à celle qu’il portait à l’intolérance dogmatique ou même à toute orthodoxie cléricale. On dit qu’il donna des encouragemens à Toland ; très certainement il eut beaucoup d’estime et d’amitié pour Collins, et, quoiqu’il ait fort bien pu ne pas recevoir la confidence entière de ses opinions, il avait trop de sagacité pour n’en pas apercevoir la tendance. Il la vit, et passa outre.

Cependant il était chrétien : je le crois, parce qu’il l’a dit, et à cause de la manière dont il l’a dit. Quand il se justifie du reproche d’arianisme ou d’opinions analogues, on sent qu’il biaise un peu ; sa dénégation n’est pas franche. Il se borne à mettre ses adversaires au défi de lui prouver ce dont ils l’accusent, ce qui se réduit à les défier de prendre sa prudence en défaut ; mais son langage sur le christianisme, le ton de ses ouvrages, celui de sa correspondance, le témoignage de ses amis, sa vie, sa mort, tout me donne la conviction qu’il était chrétien, je veux dire qu’il croyait au caractère miraculeux de la mission du Christ sur la terre telle qu’elle résulte du témoignage pieusement et sainement entendu de l’Écriture sainte.

Locke avait été élevé dans une famille puritaine. Son enfance avait été familiarisée avec le nom du Christ, avec le langage de l’Évangile. La parole sainte lui avait été enseignée, et pratiquement enseignée, comme la règle des mœurs. On ne sait pas à quel point devait être profonde, ineffaçable, l’empreinte que laissait dans l’âme le christianisme tel que l’avait connu son enfance, réunissant ensemble la sainte autorité d’une antique croyance avec l’entraînement d’une opinion nouvelle, accepté comme la loi de la vie privée et comme la loi de la vie publique, comme une doctrine de répression morale et comme un moyen de révolution, confirmé en même temps par l’esprit de famille, l’esprit de secte et l’esprit de parti. Locke avait appris au même âge à réprouver l’église épiscopale, ses formes et ses symboles, le pharisaïsme des religions d’état, les théories scolastiques d’un dogmatisme composé et rédigé à la manière des sciences du moyen âge. L’indépendance de son esprit l’avait porté à envelopper dans une large critique toutes les traditions de l’éducation universitaire. Son équité et son humanité naturelle lui rendaient odieuses l’intolérance et la persécution ; sa modération trouvait insupportables la violence des paroles et l’exagération des doctrines ; son esprit, positif et critique, repoussait comme par instinct les fictions déclamatoires, les assertions hyperboliques, les figures de rhétorique prises au pied de la lettre, les contemplations vagues qui ne satisfont que l’imagination. C’était plus qu’il n’en fallait pour abonder dans le sens d’un simple rationalisme