Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/309

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les corollaires. Cet ordre cependant, nous ne le suivrons pas. Qu’on se souvienne seulement que Locke n’est point un de ces écrivains décousus dont les ouvrages restent isolés les uns des autres par la diversité des genres, des sujets, quelquefois des opinions, et que, suggérés presque toujours par la circonstance, les siens sont les applications particulières des pensées générales de toute une vie. Il n’est pas sûr qu’il eût jamais écrit, s’il ne l’avait cru utile en regardant l’état des affaires humaines, et s’il n’avait eu des opinions toutes faites à recueillir et à exprimer.

Ainsi nous parlerons de ceux des ouvrages de Locke dont nous croirons avoir quelque chose à dire, laissant de côté tout ce qui paraît secondaire. Ceux que nous nommerons, notre but sera de les caractériser, non de les analyser.

On a remarqué l’analogie des idées de Locke, aussi bien que de celles de Rousseau sur l’éducation, avec les idées de Montaigne. On pourrait remonter jusqu’à Rabelais. Tous ces hommes fort divers avaient un point commun, c’était de croire que la société du moyen âge avait fait fausse route, que ce qu’elle prenait pour la science n’était pas la science, et qu’elle ne pouvait par conséquent que fort mal instruire la jeunesse. Cette opinion, qui vers le XVIe siècle a pris si vivement en Europe, et dont le XVIIIe n’était nullement désabusé, devait bien avoir quelques raisons pour elle, quoi qu’on en dise aujourd’hui, et je ne voudrais pas répondre qu’on n’en fût pas trop revenu. Quant à Locke, témoin d’une orageuse révolution, jeté dans une société qui avait brisé ses vieux cadres, attaché à un protestantisme dont l’effet le plus certain semblait être d’avoir mis un terme à toute domination cléricale, il ne pouvait méconnaître que cette domination continuait à peser sur les écoles et les universités de son pays ; et qui sait si aujourd’hui encore il ne penserait pas de même ? De là toutes ses idées sur l’éducation. L’éducation ne devait plus avoir pour but de faire des gens d’église et des gens d’école : elle devait avant tout faire des hommes ; première raison pour s’occuper d’abord de l’éducation physique, et plus qu’on ne l’avait fait jusque-là. Aussi Locke donne-t-il pour le gouvernement de l’enfance les conseils d’un naturaliste et d’un médecin, et ce ne sont pas ceux qui ont été le moins suivis. La santé du corps et la santé de l’âme, voilà son double but. L’éducation doit faire des hommes de bien : la morale occupe donc la plus grande place dans le traité, une morale fondée sur l’observation, conçue en vue du caractère des enfans et de la destinée des hommes faits. Ceux-ci doivent être d’utiles membres de la société civile : c’est une morale civile, laïque en quelque sorte, qu’il leur faut. Ils doivent être propres au monde comme aux affaires : leur savoir ne devra