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lourd de la grandeur disparue. Elle y parvint en s’aidant de tout l’art dans lequel elle était passée maîtresse, car, d’après les témoignages contemporains, son front frappé par la foudre n’y perdit rien de sa majestueuse sérénité. Elle vint en France, où le public l’accueillit avec cette curiosité importune à laquelle ne tarde pas à succéder l’indifférence, où la cour demeura dans les termes d’une froide politesse avec une victime du roi d’Espagne qui s’était montrée trop loyale Espagnole pour qu’on se rappelât encore qu’elle était Française. Ne pouvant supporter la commisération là où elle avait si longtemps rencontré la flatterie, elle cessa de se montrer à Versailles et partit pour l’Italie ; mais les faibles gouvernemens de cette contrée lui firent comprendre, soit par des procédés brutaux, soit à mots couverts, qu’elle pouvait être un obstacle à leurs bonnes relations avec la cour de Madrid, qu’Elisabeth Farnèse remplissait déjà de ses intrigues et de ses passions. Rome seule accueillit la fugitive, qui vint enfin cacher sa chute aux lieux où s’était élevée sa fortune, et ce fut dans l’asile ouvert aux proscrits de tous les siècles qu’elle put trouver quelques dernières années de repos pour songer enfin à la mort, dont la pensée n’avait jamais traversé sa vie.

Si le caractère de Mme des Ursins prête à la controverse, et s’il reste à la chronique des investigations à poursuivre dans les mœurs à l’escarpolette que lui imputèrent ses ennemis, il faut du moins reconnaître que ses faiblesses, toujours voilées, ne s’étalèrent jamais sur le théâtre de sa vie politique. Pour celle-ci, rien de plus facile que de l’embrasser d’un seul coup d’œil, rien de plus impossible, ce me semble, que de la juger diversement.

Si c’est une œuvre difficile pour les hommes d’état, même les mieux établis, que de diriger un grand royaume dans l’épreuve toujours laborieuse d’un changement de dynastie, quels obstacles ne dut pas rencontrer une étrangère dont l’influence ne reposait que sur la supériorité de son esprit et l’attachement d’une reine adolescente ! Pour la princesse des Ursins, les difficultés d’une pareille tâche se multipliaient d’ailleurs par celles de sa propre position. Elle était en effet soumise à deux obédiences, si j’ose employer ce terme, et plusieurs fois les devoirs de la sujette française parurent contrarier ceux qu’avait dû contracter la dévouée servante de Philippe V. Correspondre à la royale amitié qui fut l’honneur de sa vie sans trahir le mandat donné par Louis XIV, servir la France en demeurant bonne Espagnole, ce problème-là fut résolu par une conduite dans laquelle la droiture politique s’éleva presque toujours à la même hauteur que l’habileté. Mme des Ursins s’efforça de faire prévaloir dans le gouvernement de la Péninsule les traditions administratives