Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une vive impatience la signature d’un traité qui lui conservait presque toutes ses conquêtes, il en était tout autrement pour l’Espagne, appelée à payer seule les frais de la pacification. Les actes de 1713, dont la conclusion fut en effet retardée de quelques mois par l’intérêt et par l’intervention de Mme des Ursins, avaient été accueillis avec une colère fort naturelle dans la monarchie de Charles-Quint, à laquelle ils arrachaient le Milanais, les Deux-Siciles, la Sardaigne, les Pays-Bas, Port-Mahon et Gibraltar, Or la France peut décider si c’eût été en 1815 un crime irrémissible à ses yeux que de faire ajourner par une question dilatoire la signature des traités de Vienne.

Cet échec était le premier dans une carrière de malheurs que la mort seule devait clore désormais. Au commencement de 1714 mourut, à l’âge de vingt-six ans, Marie-Louise de Savoie, âme ardente, usée, mais soutenue par la tempête, et qui tomba sitôt que le souffle de l’orage eut cessé de la soulever. Les restes de la reine étaient à peine descendus dans les caveaux de l’Escurial, que la nation se demandait quelle serait sa nouvelle souveraine, et que la cour de Versailles adressait la même question à Mme des Ursins, tant on y connaissait et les besoins et l’austérité du roi d’Espagne. Que se passa-t-il durant les huit mois de ce veuvage si péniblement supporté ? Quels mystères vit ce palais de Medina-Cœli, où Mme des Ursins enferma Philippe V loin de tous les regards ? On ne le dira jamais avec quelque certitude, car les rumeurs mises en circulation en France par Saint-Simon et Duclos, en Italie par Poggiali, en Angleterre par Fitz-Moritz, eurent pour source commune les conversations d’Alberoni, l’un des acteurs les moins scrupuleux du drame de Quadraque. L’ancienne grande camériste, déjà septuagénaire, osa-t-elle tendre des embûches aux sens d’un prince de trente ans, et cette tentative, plus étrange encore qu’audacieuse, réussit-elle au point d’engager en quelque chose la conscience de Philippe ? L’histoire ne résoudra jamais cette question, d’ailleurs de fort mince importance pour elle, et qui touche moins encore au seul but que je me sois proposé, celui de juger le rôle politique de la princesse en en rappelant les principales péripéties.

Quoi qu’il en soit, il ne semble pas possible de douter que, dans les temps qui précédèrent l’arrivée de la princesse de Parme, la présence de Mme des Ursins ne fût devenue une souffrance pour le monarque, et qu’il n’ait secrètement donné la main au coup d’état accompli par sa nouvelle épouse avec une résolution barbare. Ce fut en effet en montrant aux officiers des gardes un plein pouvoir du roi qu’Elisabeth triompha de leurs hésitations, et qu’elle s’assura leur concours pour une exécution qui aurait peut-être été moins cruelle, si elle avait été sanglante ; mais si, depuis la mort