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d’un héroïque désespoir que lorsque ses ennemis, outrageait à la fois la raison et la nature, exigèrent qu’il se fît lui-même l’instrument d’une odieuse expulsion.

Mais la prudente résignation qui grandissait le roi de France aurait déshonoré le roi d’Espagne. Ce n’était pas lorsque les projets trop connus du cabinet de Versailles surexcitaient jusqu’à la fureur le patriotisme espagnol, et que l’on courait aux armes des plages de Cadix aux montagnes des Asturies, ce n’était pas quand les grands eux-mêmes se faisaient peuple, comme le dit le marquis de San-Felipe, et qu’ils abjuraient enfin, en haine de la France, leurs vieilles sympathies autrichiennes, qu’il était loisible au roi catholique de subordonner ses droits aux intérêts d’un monarque étranger. L’élève de Fénelon avait été nourri dans une foi profonde aux devoirs de la royauté chrétienne. Institué par Dieu maître et pasteur d’un grand royaume, il se croyait obligé de donner son sang pour son troupeau. La sainte grandeur d’une telle perspective avait comme rasséréné son âme, noyée dans la tristesse, et c’était avec ce calme, gage assuré des résolutions invincibles, que Philippe V avait notifié à son aïeul qu’il ne quitterait pas vivant la terre sur laquelle la Providence l’avait appelé à régner. Cette déclaration, vingt fois réitérée dans sa correspondance avec Louis XIV, ne permettait pas de douter que ce prince ne se défendît en Espagne jusqu’à la mort contre la coalition et contre la France, si sa destinée lui imposait jamais une aussi cruelle épreuve[1].

Mme des Ursins avait ainsi à opter entre la politique française, imposée à Louis XIV par de cruelles nécessités, et la politique

  1. « Je suis outré qu’on puisse seulement imaginer qu’on m’obligera a sortir d’Espagne tant que j’aurai une goutte de sang dans les veines. Cela n’arrivera pas : le sang qui y coule n’est pas capable de soutenir une pareille honte. Je ferai tous mes efforts pour me maintenir sur un trône où Dieu m’a placé et où vous m’avez mis après lui, et rien ne pourra m’en arracher que la mort. Je ne doute pas que vous n’approuviez ces sentimens. » Philippe V à Louis XIV, 12 novembre 1708. — « Mon parti est pris il y a longtemps, et rien au monde n’est capable de m’en faire changer. Dieu m’a mis la couronne d’Espagne sur la tête : je la soutiendrai tant que j’aurai une goutte de sang dans les veines. Je le dois à ma conscience, à mon honneur et à l’amour de mes sujets. Je suis sûr qu’ils ne m’abandonneront pas, quelque chose qui m’arrive, et que si j’expose ma vie à leur tête, comme j’y suis résolu, jusqu’à la dernière extrémité, pour ne les jamais quitter, ils répandront aussi volontiers leur sang pour ne pas me perdre. Si j’étois capable d’une lâcheté pareille à celle de céder mon royaume, vous me désavoueriez pour votre petit-fils. Je brûle d’envie de le paroître par mes actions, comme j’ai l’honneur de l’être par mon sang : ainsi je ne signerai jamais de traité indigne de moi. Je ne quitterai l’Espagne qu’avec la vie, et j’aime sans comparaison mieux y périr en disputant le terrain pied à pied à la tête de mes troupes que de prendre un parti qui terniroit la gloire de notre maison, que je ne déshonorerai certainement pas si je puis, avec la consolation qu’en travaillant pour mes intérêts, je travaillerai aussi pour les vôtres et pour ceux de la France, à qui la conservation de l’Espagne est absolument nécessaire. » 15 avril 1709.