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qu’on en ait pu dire, parce qu’un prétendant nouveau lui disputait en secret le cœur de ses sujets, mais parce que les procédés de la France irritaient avec justice les Espagnols, si nécessaires que ces procédés pussent être dans ces temps malheureux. Réduit aux dernières extrémités et trouvant autant de difficultés pour faire la paix que pour continuer la guerre, Louis XIV ne luttait plus que pour défendre le territoire de son royaume, dont la gloire était payée de si cruels retours. À partir de 1709, des dispositions furent prises pour retirer d’Espagne nos meilleurs régimens et nos meilleurs généraux, afin de couvrir la France sur le Var et sur l’Escaut, et ces mesures étaient prescrites au moment même où la coalition, espérant prendre la France à revers, inondait la Catalogne de troupes allemandes, et ranimait partout le feu de l’insurrection. Pendant que Chamillard enlevait à Philippe V les bataillons dont ce prince réclamait la conservation avec le plus d’insistance, ce ministre, qui entrait en fureur au seul nom d’Espagnol, prétendait mettre à la charge exclusive de l’Espagne l’entretien des troupes françaises qu’on y laissait encore, de telle sorte que le roi catholique se trouvait placé dans l’alternative, ou de renoncer à un secours indispensable, ou de laisser, pour l’acheter, l’armée nationale sans solde et sans vivres. Dans quel temps et sous quels auspices arrivaient à Madrid ces sommations ? Quand la prise de Lille, en ouvrant aux alliés la route de Paris, effleurait l’honneur de l’héritier de la couronne, et au moment où la France, qui, pour prix de l’avènement du duc d’Anjou, avait garanti l’intégrité de la monarchie espagnole, ne tentait pas même un effort pour empêcher la conquête du royaume de Naples par l’empereur, celle de la Sardaigne et des Baléares par l’Angleterre !

Mais la cour de Madrid avait encore bien plus à redouter les négociations de Torcy que les opérations militaires de Chamillard ou de Voysin. La guerre était à peine commencée que la pensée de traiter avec la coalition, en faisant payer à l’Espagne tous les frais de la paix, dominait le cabinet français, et l’on peut, dans les Mémoires de Torcy, en suivre les développemens successifs à chaque nouveau coup du sort. On n’avait songé d’abord qu’à donner les Pays-Bas à l’électeur de Bavière ; bientôt il fallut admettre la possibilité d’abandonner l’Espagne et les Indes à l’archiduc Charles, en réservant à Philippe V les possessions italiennes ; enfin l’aïeul infortuné dut, pour sauver le territoire français, accepter la perspective de la dépossession complète de son petit-fils sans aucune sorte d’indemnité. Avec la vertu d’un chrétien qui fait passer ses devoirs envers son pays avant ses devoirs envers sa maison, Louis XIV avait consenti à boire ce dernier calice, car l’on sait qu’il n’en appela aux ressources