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pour qui le commérage est l’écueil du génie, ne manque ni de les recueillir ni de les commenter de la meilleure façon. Tandis que l’intimité de Mme de Maintenon avec la princesse éclatait à tous les yeux, il attribue à celle-ci des espérances extravagantes. L’âge et la santé de Mme de Maintenon tentaient Mme des Ursins, nous dit-il gravement, comme si l’épouse de Louis XIV eût été assez novice pour seconder les progrès d’une concurrence, comme si les femmes ne dépistaient pas encore plus vite les rivales que les amoureux.

Quoi qu’il en soit, Mme des Ursins, le front ceint de l’auréole de sa victoire, rentrait en Espagne à la fin de 1705, avec une mission politique avouée. On suit dans ses lettres à Mme de Maintenon, dont la série régulière commence vers cette époque, tous les incidens de ce voyage triomphal, et dans le cours de ce récit animé par une joie superbe, mais contenue, l’on peut remarquer la délicatesse avec laquelle la princesse, se dérobant aux empressemens passionnés de la jeune reine, fait maintenir à son préjudice l’intégrité de l’étiquette espagnole, dont elle est pourtant l’adversaire reconnue. Rien de plus original que les tendres effusions de ces deux femmes, tempérées chez l’une par le respect, surexcitées chez l’autre par la supériorité même de son rang, mais venant toujours se confondre dans l’unité d’une même pensée et l’exercice commun de la puissance.

Cependant Mme des Ursins triomphait sur un volcan : l’Espagne était en feu, et chaque jour semblait mettre en question l’existence du trône à l’ombre duquel elle venait régner. Lord Peterborough avait arraché Barcelone à Philippe V, et la plus grande partie de la garnison avait reconnu l’archiduc, qui, agissant désormais comme roi d’Espagne, venait de faire son entrée dans cette ville aux acclamations des populations catalanes. Les principales forteresses de la province avaient eu le sort de la capitale, et d’un côté l’insurrection gagnait Saragosse, pendant que de l’autre l’importante cité de Valence proclamait Charles III. La situation n’était guère meilleure dans l’ouest du royaume, car une armée anglo-portugaise avait pénétré dans l’Estramadure, commandée par un réfugié français devenu pair d’Angleterre, et dont la haine poursuivait Louis XIV sur tous les champs de bataille. Contraint de lutter à la fois en Flandre, en Italie et au-delà des Pyrénées, afin de défendre l’intégrité d’une monarchie qui hésitait de plus en plus dans son obéissance, le roi de France venait d’envoyer en Espagne trente bataillons et vingt escadrons qu’il fallut bientôt faire suivre d’une nouvelle armée. Malheureusement on touchait à l’heure où nos soldats auraient plus à redouter leurs généraux que ceux de l’ennemi, et ces forces, d’ailleurs insuffisantes, étaient placées sous les ordres du maréchal de