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L’archiduc, proclamé roi d’Espagne par l’empereur sous le nom de Charles III, reconnu en cette qualité par l’Angleterre et la Hollande, venait de débarquer à Lisbonne ; la campagne ouverte contre les Portugais avait fini, après quelques succès éphémères, par une sorte de débandade de l’armée espagnole, faute de vêtemens, de vivres et de solde, dont il n’était plus question depuis le départ d’Orry, rappelé en France par les mêmes motifs que la princesse. Gibraltar, dont une inexplicable incurie avait confié la défense à cinquante hommes, était arraché pour jamais par quelques matelots ivres à la couronne des rois catholiques ; la Catalogne, l’Aragon, le royaume de Valence, préparés à l’insurrection par le prince de Darmstadt, se trouvaient également à la veille de lui échapper. Au commencement de 1705, les armées de Philippe V se composaient de cinq ou six mille hommes déguenillés, tentés chaque jour dans leur fidélité chancelante, et le petit corps de troupes auxiliaires françaises s’épuisait en efforts inutiles pour reprendre Gibraltar, mis à couvert par la flotte anglaise, demeurée maîtresse du détroit après le premier désastre de notre marine dans cette guerre, qui allait lui coûter son dernier vaisseau.

Le gouvernement des premiers ministres, et bien plus encore celui des femmes, était antipathique à Louis XIV. Aussi dut-il lui en coûter beaucoup de renoncer à l’espoir généreux de voir son petit-fils appliquer les belles instructions où sa personnalité royale se réfléchit avec tant d’éclat ; mais un tel prince savait fort bien qu’une idée politique est sans valeur, lorsqu’elle demeure inapplicable. Vaincu par une douloureuse évidence, il en était à reconnaître que le tempérament maladif de Philippe rendait chez lui tout équilibre impossible entre l’intelligence et la volonté, de telle sorte que ce malheureux prince ne pourrait échapper à sa perte qu’en échappant à lui-même. Dans les périls prochains que laissaient pressentir les désastres de nos armées, mieux valait, après tout, l’espoir de conserver l’Espagne avec la dictature de Mme des Ursins, que la certitude de perdre cette couronne en éloignant la grande camériste. Après la bataille d’Hochstedt, la défection du duc de Savoie et la triste campagne d’Italie, la réintégration de la princesse dans sa charge fut de la part de Louis XIV une première concession à la mauvaise fortune, une résolution pour laquelle sa sagesse triompha de ses répugnances. C’est là ce qu’aurait dû voir Saint-Simon, au lieu de présenter le triomphe obtenu par Mme des Ursins à Versailles comme l’inexplicable effet d’une sorte de fascination soudaine.

Cette victoire transforma tout à coup celle qui naguère encore était une accusée en « divinité de la cour. Tous ses regards étaient comptés, et ses paroles adressées aux dames les plus considérables leur imprimaient un air de ravissement. Rien de pareil à l’attention