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elle les envoya à la Tour. Pendant tout le temps de leur détention, le secrétaire de Shaftesbury donna exactement de ses nouvelles à Locke, qui avait conservé ces lettres (1677). La faveur populaire entourait les lords captifs. Shaftesbury était au secret : on craignait trop son activité hardie pour respecter son âge et son infirmité. De son côté il ne négligeait rien pour soulever le public en sa faveur. Il s’efforça, par un appel à la cour du banc du roi, d’opposer la justice au parlement. Par une pétition à la chambre des lords, il tenta même de réveiller son orgueil pour la défense du privilège de ses membres ; mais repoussé dans de justes plaintes, il fit réparation à la chambre dans les termes les plus mesurés qu’il pût trouver. Il justifia cette concession dans un imprimé, au titre duquel il écrivit la maxime tant répétée sans tirer à conséquence : « L’honnêteté est la meilleure politique. » On ne sait qui a dit cela le premier. Shaftesbury pour cette fois n’avait fait que sacrifier son amour-propre, et prouver que, tenant plus au but qu’au moyen, il ne marchandait pas le succès. Il savait qu’achetée par une soumission d’un moment, sa liberté profiterait plus à son parti que n’eût fait sa résistance, et pour le prouver il se remit à l’œuvre. À son instigation une adresse au roi pour lui demander d’influer sur les négociations de Nimègue, en se déclarant efficacement contre la France, fut présentée aux communes, qui l’adoptèrent. Présentée aux pairs par lord Russell, elle fut moins heureuse ; toutefois l’agitation des esprits était au comble, lorsque éclata la découverte du célèbre complot papiste.

L’opinion générale des historiens place aujourd’hui ce complot au rang des fables, et sans doute on ne convaincrait pas aisément un tribunal que les catholiques aient alors projeté la mort d’un roi qui était à eux, quoiqu’il ne l’avouât pas. Cependant il ne serait pas moins difficile de prouver qu’à défaut d’un complot judiciairement définissable, il n’y eût pas au sein de la cour et plus haut que les marches du trône une conspiration politique contre la religion et la liberté de l’Angleterre. De cette conspiration-là, Shaftesbury n’avait plus depuis longtemps rien à découvrir. Il était encore ministre lorsqu’un jour ayant été appelé par le roi, qui venait de dîner gaiement et qui recherchait sa conversation comme un plaisir, il l’avait trouvé en pointe de vin, et lui avait dérobé, dans l’épanchement de l’ivresse, l’aveu d’un secret catholicisme. C’était là pour lui le vrai complot papiste, et quant à l’autre, s’il ne partageait pas la crédulité populaire, il ne se fit aucun scrupule de l’exploiter. Il travailla à grossir les preuves de la conspiration comme la cour à les détruire ; il soutint les témoins qu’elle cherchait à intimider, et les deux chambres déclarèrent à l’unanimité qu’il existait un damnable et infernal complot. Shaftesbury, président du comité d’enquête, ne