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par un roi dont le premier acte avait été de protester par son absence contre ses terribles solennités[1].

Tant de germes cachés au fond des intérêts ou des consciences n’attendaient pour se développer que des circonstances favorables. Les joies réciproques de l’avènement furent donc courtes, car les mœurs espagnoles n’excitèrent pas chez le jeune roi des repoussemens moins vifs que la domination étrangère n’en provoqua chez ses sujets. En deux années, l’avenir du nouvel établissement était devenu aussi problématique qu’il avait d’abord paru assuré, parce qu’en effet, loin d’être protégée par le prestige des bienfaits dont on l’avait crue la source, la royauté française fut l’occasion de la plus redoutable épreuve qu’eût jamais supportée le patriotisme espagnol.

Foudroyée par le testament imprévu de Charles II, l’Europe, qui au premier moment avait semblé n’en pas vouloir contester les dispositions, n’avait pas tardé à se raviser. Persuadés que l’agrandissement de sa famille équivaudrait pour Louis XIV à un agrandissement de territoire, l’Angleterre, la Hollande et le Portugal, prenant en main les prétentions successorales de la maison d’Autriche, dont ces cabinets avaient fait si bon marché lors des deux traités de partage, engagèrent sur toutes les mers, en attendant le moment de les transporter au cœur de l’Espagne, des hostilités que l’empereur avait déjà commencées en Italie. Une coalition implacable, dont la paix de Ryswick avait suspendu les effets sans en modifier les causes, se forma pour arracher les deux péninsules à la domination de la France. Celle-ci accepta résolument la lutte pour une cause juste et honnête cette fois ; mais la guerre était à peine commencée qu’elle acquérait la certitude qu’en doublant nos périls, l’Espagne n’ajouterait rien à nos ressources, et que les suspicions du pupille accroîtraient de jour en jour les difficultés de cette redoutable tutelle. Avec quelle dédaigneuse amertume l’Espagne ne suivit-elle pas en effet la longue série de désastres qui du sommet de la puissance conduisit Louis XIV à deux pas de l’abîme par l’une de ces péripéties dont l’effet n’est jamais plus rapide sur l’esprit des peuples que lorsque la fortune déserte les hommes longtemps puissans et longtemps heureux !

Au lieu et place du grand roi protecteur de l’intégrité de la monarchie espagnole, la malveillance vit un prince abandonné par la

  1. Lors de l’entrée de Philippe V à Madrid, un auto-da-fe avait eu lieu, suivant un usage antique. Ce prince refusa obstinément de s’y montrer, contrairement à l’avis de M. de Torcy, lequel, pensant qu’il se falloit accommoder au génie des peuples, voulait que le jeune roi restât au moins jusqu’au moment du feu, — Lettre de Torcy à Louville, 11 mars 1701.