Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une liane au tronc qui la supporte. L’auteur de la Princesse des Ursins a consacré un chapitre à traiter la question de savoir si cette dame avait reçu une mission politique du cabinet français lors de son premier départ pour l’Espagne, question qu’il n’hésite pas à résoudre par l’affirmative. Je crains qu’ici M. Combes n’ait encore anticipé sur l’ordre des faits. L’action de Mme des Ursins dans les affaires publiques commença sans doute dès son arrivée à Madrid ; mais, loin d’être autorisée, à plus forte raison d’être prescrite par Louis XIV, cette action était directement contraire aux instructions réitérées adressées par ce prince à son petit-fils ; il n’en faudrait pour preuve que le rappel de Mme des Ursins en 1704, motivé par cette seule cause. Ce que le roi demandait à la grande camériste, c’était qu’elle dirigeât l’inexpérience d’une reine enfant pour la tenue de sa cour, office éclatant auquel la princesse des Ursins paraissait avec raison plus propre que personne en Europe[1] ; ce qu’en attendait à son tour M. de Torcy, c’était, non pas une intervention dans les affaires intérieures interdite par Louis XIV à tous les serviteurs français du roi d’Espagne, parce que rien n’en avait encore fait pressentir la nécessité, mais des renseignemens précis sur les hommes et sur les choses d’un pays qui allait lui causer d’étranges soucis. À partir de son entrée en Espagne, les lettres de Mme des Ursins à ce ministre furent fréquentes ; mais cette correspondance de pure information eut le même caractère que celle du comte d’Ayen, du marquis de Louville, du chevalier d’Espenne et des membres principaux de la colonie qui suivit Philippe V en Espagne afin d’y former sa maison française. Ceux-ci furent les correspondans assidus du marquis de Torcy, du chancelier de Pont-Chartrain et du duc de Beauvilliers, ancien gouverneur du jeune roi ; mais Louis XIV n’avait donné à aucun d’entre eux la charge d’assister son petit-fils dans le gouvernement de ses états. Pour que cette mission-là fût un jour attribuée à la princesse des Ursins, trois choses étaient nécessaires. Il fallait d’abord acquérir la certitude que Philippe V était radicalement incapable de gouverner par lui-même, puisqu’il ne pouvait être conduit que par la reine, enfin que celle-ci ne se laisserait jamais diriger que par Mme des Ursins. Or de ces trois choses pas une seule n’était encore soupçonnée en 1702, lorsque les augustes époux firent à Madrid leur entrée solennelle. Placé plus tard dans l’alternative de voir l’Espagne sans gouvernement ou d’y accepter celui de la grande camériste, Louis XIV finit par s’y résigner ; voilà la vérité. Cependant, quoiqu’on fût encore loin

  1. Ce côté de la grande représentation est celui auquel parait s’arrêter surtout le marquis de Torcy dans ses premiers jugemens sur Mme des Ursins. « Je viens, écrit-il au marquis de Louville, de lui annoncer sa nomination ; elle est ravie et se croit reine d’Antioche. » Mémoires de Louville, t. Ier, p. 170.