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voisins bien plus que par d’injustes récriminations, et si la paix dépend de nous, nous l’aurons assurée.

La conservation de la paix dépend-elle de nous ? Il serait trop présomptueux de l’affirmer absolument, mais sans vanité la France a le droit de croire qu’elle y peut beaucoup. C’est beaucoup pour prévenir l’éventualité d’une guerre que d’avoir résolument fermé son âme aux tentations de l’esprit guerrier. On surmonte avec un pareil parti-pris bien des obstacles. Croyant donc, avec M. de Morny, à la sincérité des intentions pacifiques de notre gouvernement, nous espérons que la guerre ne renaîtra ni des difficultés si graves et si nombreuses qui s’attachent à la réorganisation de l’Italie, ni des conséquences de l’ébranlement qu’a éprouvé l’Europe. Les difficultés italiennes concentreront bien longtemps encore l’attention du monde. L’on peut prévoir que ce n’est point à Zurich que les plus graves seront arrangées. Tout présage que les conférences de Zurich dureront longtemps. Malgré le mystère dont s’entourent les plénipotentiaires, il est évident qu’ils ne vont pas vite en besogne, et qu’aucune des questions qui excitent l’intérêt public n’a encore été abordée. Ce n’est en effet ni de l’annexion de la Lombardie à la Sardaigne, ni des détails financiers qu’il faut régler à la suite de ce remaniement territorial que l’on s’inquiète. C’est là pour l’opinion un fait accompli qu’il n’y a plus qu’à revêtir de certaines formalités moins faciles à arrêter peut-être qu’on ne se le figure. On ne se préoccupe pas encore de l’organisation de la confédération : personne jusqu’à présent n’a vu clair dans cette conception, et rien n’a donné à penser qu’elle fût réalisable. L’article le plus difficile du traité de Vîllafranca, celui qui annonçait la restauration des princes dépossédés, est le seul qui préoccupe le public : c’est celui en effet dont l’Italie centrale rend l’exécution impossible par un esprit d’union, une décision de conduite et un mélange de modération et de fermeté qui lui gagnent l’admiration et les sympathies de l’Europe libérale.

Les populations de la Toscane, des légations, des duchés de Parme et de Modène donnent en ce moment au monde un spectacle noble et attachant. Il est permis de dire que si elles persévèrent, elles gagneront par leur imposante attitude la cause de l’Italie. Déjà leur conduite réfute tous les reproches que l’on avait adressés jusqu’à présent aux Italiens, et qu’ils n’avaient que trop mérités en 1848. On disait les Italiens violens et mobiles ; sous les gouvernemens provisoires de l’Italie centrale, ils se font remarquer par un respect de l’ordre et une constance de desseins qui sont sans exemple au milieu d’une crise révolutionnaire. On représentait les Italiens comme séparés par des divisions de classes, par des rivalités locales, par des antipathies municipales : or non-seulement la concorde règne entre toutes les classes, mais les villes diverses et les différens états s’unissent dans la même pensée nationale. Ces populations, si attachées à l’autonomie, en font volontairement le sacrifice, comprenant bien qu’une occasion unique s’offre à elles de mettre à l’abri de toute entreprise ultérieure l’indépendance nationale, et qu’elles commettraient une faute peut-être irréparable si elles la laissaient échapper. Il est impossible que cet intelligent patriotisme, dont les manifestations imprévues touchent et élèvent l’âme, ne soit point récompensé.