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Nous le répétons, c’est avec confiance que nous pensons au sort prochain de la liberté dans notre pays, et nous savons gré à M. de Morny de nous avoir encouragés dans cet espoir par quelques-unes des paroles qu’il a prononcées à l’ouverture de son conseil-général. Jusqu’à présent nous ne voyons pas qu’il soit rien sorti de remarquable de la session des conseils-généraux, si ce n’est le discours du président du corps législatif. Nous ne parlerons pas des adresses dont le Moniteur n’a point encore achevé la publication. L’inconvénient des adresses, variations infinies du même thème, c’est que le public est enclin à n’y remarquer que les excentricités qui se détachent sur un fond trop monotone. Ainsi, des adresses des colonels, il est resté quelques phrases injustes et inconsidérées qui ont failli nous brouiller avec l’Angleterre, et qui ont laissé après elles ce fonds de mauvaise humeur que nous avons tant de peine à calmer chez nos susceptibles voisins. Il s’en faut heureusement que les honnêtes adresses de nos conseils-généraux soient de nature à produire de tels orages. Elles respirent l’amour de la paix le plus sincère et le plus unanime. Elles ne seraient justiciables à nos yeux que de la critique littéraire. Et si l’on ne devait être indulgent pour les gaucheries de cette rhétorique rustique et pour les tortures d’esprit que quelques-unes de ces amplifications ont dû coûter aux auteurs, tout au plus nous permettrions-nous de les signaler à la sollicitude de M. le ministre de l’instruction publique comme un des symptômes qui accusent avec le plus d’évidence l’insuffisance de l’éducation littéraire dans nos départemens. Revenons au discours de M. de Morny. Chose curieuse ! l’année dernière, à pareille époque, le discours d’ouverture qui fit le plus de sensation fut celui de M. de Persigny, et le discours de M. de Persigny, comme celui de M. de Morny aujourd’hui, était consacré à la défense de l’alliance anglo-française. Quant à nous, qui soutenons cette alliance, en portant dans l’appréciation des inquiétudes de l’opinion anglaise un esprit d’équitable impartialité, nous n’avons que des éloges à donner aux intentions qui animent M. de Morny. Peut-être trouvera-t-on que le président du corps législatif fait trop d’efforts pour prouver la sincérité des résolutions pacifiques de l’empereur et son attachement raisonné à l’alliance anglaise. Nous croyons que, parmi les hommes éclairés et bien informés de l’Europe, personne ne doute du désir réel qu’a l’empereur de maintenir la paix. De même, parmi les hommes d’état qui se sont succédé depuis huit ans au pouvoir en Angleterre, il n’en est point qui n’ait pris plaisir à reconnaître que l’Angleterre avait rencontré dans l’empereur un bon et fidèle allié. Ce n’est pas sur ce point que se portent l’anxiété des esprits et cette préoccupation de fortifications et d’armemens que l’on reproche, à tort suivant nous, à une grande puissance comme l’Angleterre ou à une petite comme la Belgique. Les questions personnelles sont mises à l’écart : on ne s’inquiète que des caractères de la situation générale.

La guerre, bien que nous l’ayons si rapidement menée, a tout remué en Europe et a fait réfléchir chacun sur sa position. Les Anglais se sont demandé si, en présence de la puissance de notre escadre à vapeur et de la prodigieuse mobilité de nos troupes, ils étaient suffisamment protégés contre des éventualités improbables si l’on veut, mais en tout cas possibles, et d’ailleurs appelées ouvertement chez nous par certains journaux et certaines brochures,