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point pour elle un culte abstrait. On reste indifférent tant que l’on n’est pas sollicité par quelque intérêt actuel à s’en servir ; mais l’on s’en éprend vite dès qu’un certain mouvement des esprits et un certain ensemble de circonstances, des intérêts généraux et même particuliers viennent vous rappeler l’utilité actuelle et pratique de ce puissant instrument par lequel s’exprime et se gouverne à la fois la raison publique. Nous nous expliquons très bien l’indifférence qu’a rencontrée depuis huit ans la question de la presse. La première cause de cette indifférence, c’est la fatigue qu’ont éprouvée, à la suite des agitations de 1848, la plupart des hommes qui s’étaient activement mêlés aux affaires publiques jusqu’en 1852. Les événemens avaient donné aux idées des démentis si brutaux, il s’était produit par la marche précipitée et désordonnée des faits dans une période révolutionnaire une si grande confusion dans les situations et dans les doctrines, nous avions été tant mêlés, brouillés et à la fin dispersés, que la lassitude, sinon le découragement, avait envahi les plus ardens athlètes. L’établissement du régime nouveau avait ouvert d’ailleurs d’autres champs d’activité, qui attiraient les masses : une vive impulsion était donnée aux travaux publics et aux spéculations industrielles et financières, une portion considérable du domaine public avait été abandonnée en prime à l’esprit d’entreprise et d’association. C’était tout un cycle d’opérations industrielles que la fougue française avait à parcourir, et il eût été impossible de la détourner de l’appât positif qui l’amorçait. La guerre d’Orient, malgré sa gravité et la grandeur des intérêts qu’elle mettait en jeu, ne fut point une diversion suffisante pour incliner les esprits actifs à d’autres préoccupations. L’achèvement des grands chemins de fer, le nivellement des valeurs mobilières à leurs prix approximativement réels, l’absorption de ces valeurs par les capitaux, puis la crise inévitable que devaient produire des exagérations que l’on n’avait pas songé à combattre, mirent seuls fin à cette fièvre. Une autre source d’activité était ainsi épuisée, et d’autres fatigues s’ajoutaient aux lassitudes politiques ; mais la fatigue de 1857 et 1858 était déjà moins résignée que celle de 1852. Ce premier malaise moral, par lequel se trahit le besoin d’une action nouvelle, était visible en 1858. La surprise de la guerre d’Italie l’a distrait plutôt qu’elle ne l’a calmé. Bien au contraire, si ce malaise provient, comme nous le croyons, du désir instinctif ou avoué qu’éprouvent les intelligences actives de participer plus facilement et plus directement à la discussion et par conséquent dans une certaine mesure à la direction des affaires publiques, la guerre d’Italie, avec les événemens qui l’ont précédée et les nombreux problèmes qu’elle a soulevés, a excité davantage, au lieu de le satisfaire, cet appétit de vie politique qui commence à se réveiller sous nos yeux.

Les esprits et les choses, à petit bruit si l’on veut, ont donc marché depuis sept années : e pur si muove. Un observateur sagace ne trouverait plus aujourd’hui la France tout à fait au même point où elle était en 1852. Les fatigués, pendant ce temps-là, ont profité du repos et ont refait leurs forces. Les leçons du passé leur ont été utiles, et nous n’en voudrions pour preuve que ce rapprochement instinctif, spontané, naturel, qui s’opère, entre des esprits que les luttes de 1848 avaient divisés, sur le terrain commun d’un