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qui abolissent des délits légalement constatés et des peines appliquées conformément aux lois, avons-nous besoin d’exprimer notre sentiment sur la convenance d’une mesure qui fait tomber ces pénalités extra-légales portées, à la suite des collisions de partis, contre des hommes dans lesquels la justice n’a jamais signalé des coupables, dans lesquels seule la politique a vu et atteint d’anciens adversaires ? Ce n’est pas la loi que l’on a invoquée contre ces citoyens, c’est ce que l’on appelait autrefois la raison d’état, et ce que l’on nomme depuis soixante-dix ans tantôt le salut public et tantôt la sûreté générale. L’amnistie envers eux n’est pas seulement un bienfait, elle est une réparation. Pour le gouvernement qui l’accorde, elle n’a plus le même caractère que celle qui abroge les condamnations légales. En levant l’ostracisme, il ne consulte, comme en le prononçant, que la raison d’état, et il est permis de dire que le gouvernement était plus intéressé même que ceux qui en étaient l’objet à renoncer aux mesures de sûreté générale. L’amnistie, dans ce cas-là, n’est que la mesure de la confiance qu’il a en lui-même et de sa sécurité. Nous nous félicitons à ce point de vue, comme d’un indice des dispositions du gouvernement, du décret qui permet enfin, après huit années, à des citoyens honorables et à des Français illustres de rentrer dans leur patrie. Il est bon que le gouvernement ait en lui-même la confiance dont il vient de faire preuve, car les progrès de cette confiance doivent logiquement se traduire en progrès de liberté pour le pays. Nous applaudissons donc volontiers à l’amnistie, et nous voulons y voir, suivant le mot de M. de Morny, « le prélude du système dans lequel nous allons entrer. »

C’est également à titre de prélude que nous mentionnerons le décret qui considère comme non avenus les avertissemens donnés jusqu’à présent aux journaux. Ce décret est certainement le symptôme de dispositions plus bienveillantes envers la presse ; il a droit à être accueilli dans un esprit semblable à celui qui l’a inspiré. Aussi ne croyons-nous pas être téméraires en témoignant l’espoir qu’il n’est que l’avant-coureur de la mesure législative qui devra rouvrir à la presse le terrain du droit commun et lui constituer un état légal. Le régime de la presse ne pouvait pas en effet être réglé à ce moment de l’année, et par un décret. Il faut ajourner à l’époque où le sénat et le corps législatif seront rassemblés l’espoir d’obtenir enfin une loi sur la presse qui lui rende l’esprit d’initiative et la vie, en l’affranchissant de la juridiction administrative et en lui laissant exercer sa responsabilité féconde uniquement en face des tribunaux ordinaires, dans la limite et sous la sauvegarde des lois. Dans cette grande question de la liberté de la presse, le gouvernement a le choix entre deux systèmes : il peut prendre l’initiative et présenter au corps législatif le projet de loi organique que la presse attend ; ou bien, craignant de devancer les vœux et les besoins publics, il peut attendre que la presse fasse elle-même la conquête de sa liberté. Nous ne le dissimulons pas, nous aimerions mieux que le gouvernement usât promptement de son initiative ; mais s’il n’est point décidé encore, nous ne nous laisserons pas décourager par sa lenteur. Nous ne croyons pas que la liberté de la presse, ou pour mieux dire la réforme du régime actuel de la presse périodique, soit aussi difficile à conquérir que certaines personnes se l’imaginent.

Il en est de la liberté de la presse comme de toutes les autres : l’on n’a