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Il n’était nullement abattu du reste, et par sa fierté il ranimait son armée. L’évêque de Fossano, tout consterné, vint lui porter ses doléances, et il lui répondit : « Nous pouvons être vaincus, — avilis jamais ! » Vers cette époque, Charles-Emmanuel III perdait aussi l’homme qui avait le plus énergiquement secondé sa politique, le marquis d’Ormea, subitement frappé d’apoplexie le 24 mai 1745. Le marquis d’Ormea avait été le serviteur de deux règnes : il avait trop retenu de son premier maître Victor-Amédée le goût des expédiens et des duplicités ; il était de plus vain et altier, dit M. Carutti, mais c’était un esprit fécond et hardi, qui avait donné une vigoureuse impulsion à son pays, et qui, dans cette guerre même, avait été le principal promoteur des combinaisons qui devaient assurer au Piémont cinq de ses plus belles provinces.

La difficulté était de sortir de cette guerre indéfiniment prolongée à travers des alternatives dont on finissait par ne plus prévoir l’issue. C’est alors que surgissait un projet auquel les événemens contemporains ont donné une sorte d’intérêt actuel, et que M. Carutti éclaire de nouvelles lumières. Le cardinal de Fleury n’était plus de ce monde. Les affaires étrangères venaient de passer aux mains d’un homme qui alliait une imagination quelquefois chimérique à un certain sens vigoureux et à une singulière pénétration d’esprit : c’était le marquis d’Argenson, qui se mit dans la tête de pacifier l’Europe et de régler les affaires d’Italie en renouant avec le Piémont. E. d’Argenson partait de cette idée que la grande erreur de la France avait été de se brouiller avec le roi de Sardaigne, qui était le plus utile allié au-delà des Alpes, et qu’on ne s’était aliéné qu’en cédant à l’insatiable ambition de la reine d’Espagne. « Plaçons-nous au conseil de Turin, disait-il ; le Piémont n’a-t-il pas tout à craindre de la maison de Bourbon maîtresse de la France, de l’Espagne, du royaume de Naples et de Sicile ?… Si on établit un second infant en Italie, combien ses justes craintes ne doivent-elles pas être augmentées ? Ainsi je tenais pour principe qu’on ne pouvait donner pour ainsi dire un à don Philippe qu’on ne donnât trois au roi de Sardaigne… » Ce fut là l’origine d’une négociation que le marquis d’Argenson ouvrait d’abord à Paris par l’intermédiaire de la princesse de Carignan et du comte de Mongardin. « Nous commencerons la symphonie, disait-il, et si le concert marche mal, nous jetterons la musique au feu, et on n’en parlera plus. » La symphonie n’alla pas tout à fait mal au premier instant, et la négociation fut transportée à Turin, où le résident de France à Genève, M. Champeaux, fut chargé d’aller la suivre sous le nom de l’abbé Rousset.

L’arrangement imaginé par M. d’Argenson consistait en plusieurs traités, dont le dernier mot était l’expulsion des Allemands de toute l’Italie. Par l’un de ces traités, la France devait prendre l’obligation